Il est traditionnel qu’en cette période de l’année, les proches des défunts viennent se recueillir sur leurs tombes. Si Paris compte 20 cimetières dont 14 intra-muros, le 18e arrondissement en comptabilise 3 à lui seul, parmi lesquels le cimetière du Calvaire, plus ancien cimetière de Paris, le cimetière de Montmartre (ou cimetière Nord) et le cimetière Saint-Vincent. C’est ce dernier que l’on vous emmène visiter aujourd’hui…
Situé à deux pas des vignes, il porte le nom du saint patron des vignerons, et si jusqu’en 1909 on y accédait par le 40 de la rue du même nom, l’entrée se situe aujourd’hui rue Lucien Gaulard. Ouvert en 1831 et inauguré par le maire de Montmartre de l’époque, Jacques Edmé Bazin, qui y repose aujourd’hui, le cimetière Saint-Vincent remplace le cimetière du Calvaire trop petit. Devenu à son tour insuffisant, il fut fermé en 1858 puis rouvert en 1860, devenant par la même parisien suite à l’annexion du village de Montmartre.
Réservé aux concessions perpétuelles, il s’agit sans aucun doute du plus montmartrois des cimetières de la Butte, puisque la majorité de celles et ceux qui y sont enterrés ont marqué l’histoire du quartier. Sur une superficie de près de 6000 m2, on dénombre environ 900 tombes abritant les sépultures d’illustres familles montmartroises (Picard, Tourlaque, Labat, Muller, Roussard…), mais également de nombreux artistes ayant vécu à Montmartre.
– LES PEINTRES –
Théophile Steinlen (1859-1923)
Né à Lausanne, Steinlen s’installe à Montmartre en 1883. Il devient l’ami de Toulouse Lautrec, et fréquente les nombreuses personnalités artistiques de la Butte. Il est mondialement connu pour avoir réalisé l’affiche de La Tournée du Chat Noir, placardée partout dans le quartier en 1896 pour annoncer le déménagement du cabaret. Les chats, qu’il adorait, furent l’un des ses sujets de prédilection, et aujourd’hui encore, de nombreux anonymes viennent déposer des photos de félins sur sa tombe…
Maurice Utrillo (1883-1955) et Lucie Valore (1878-1965)
Maurice Utrillo est sans conteste le plus montmartrois des peintres montmartrois, puisque né rue du Poteau, il a vécu dans le quartier la majeure partie de sa vie, mais surtout, il l’a peint de nombreuses fois, rendant immortelles certaines de nos rues. A ses côtés repose son épouse Lucie Valore, elle-même peintre naïf. La sculpture qui orne leur tombe, allégorie de la peinture, est signée de son nom. Pourtant il semblerait qu’elle provienne de l’ancien Hôtel de Ville de Paris, incendié sous la Commune, et que Lucie aurait simplement restaurée.
Gen Paul (1895-1975)
Né à Montmartre au 96 rue Lepic, il peindra lui aussi énormément le quartier, mais sa notoriété n’atteindra jamais celle d’Utrillo. Grand ami de Louis-Ferdinand Céline et de Marcel Aymé dont il était voisin, il a vécu toute sa vie sur la Butte. Il repose désormais sous une dalle totalement anonyme.
Georges Rose (1895-1951)
Cet aquarelliste, considéré comme l’un des héritiers d’Eugène Boudin, qui repose quelques mètres plus loin, n’est pas le plus connu des peintres enterré à Saint-Vincent, mais sa tombe est sans doute l’une des plus remarquées puisqu’un superbe rosier y fait figure de pierre tombale.
Eugène Boudin (1824-1898)
Bien que n’étant pas réellement un peintre montmartrois, Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme, y a cependant passé beaucoup de temps. Il avait souhaité mourir face à la mer et reposer au cimetière Saint-Vincent. Mort à Deauville, ses dernières volontés ont donc été exaucées.
Jules Chéret (1836-1932)
Peintre, lithographe et maître dans l’art de l’affiche à la Belle Epoque, le Bal du Moulin Rouge restant l’une de ses plus célèbres.
Candido de Faria (1849-1911)
Illustrateur, caricaturiste et peintre, on lui doit la première affiche de l’histoire du cinéma. Sur sa tombe, uns statue, œuvre de Charpentier, représente la Muse des Arts en train de le sculpter.
– POÈTES, CHANSONNIERS ET ÉCRIVAINS –
Emile Goudeau (1849-1906)
Originaire de Périgueux, on doit à Emile Goudeau la fondation du Club des Hydropathes, cercle littéraire et artistique où il était interdit de boire de l’eau ! Installé Rive Gauche, c’est Rodolphe Salis qui convainc le poète de réunir le cercle au Chat Noir en 1881. Très vite, Goudeau devient une figure du quartier, à tel point qu’à sa mort, les montmartrois réclament qu’une place porte son nom. Ils finiront par obtenir gain de cause en 1911, à condition que celle-ci abrite une fontaine… d’eau !!!
Marcel Legay (1851-1915)
Originaire du Pas-de-Calais, il arrive à Paris en 1876 et tente de gagner sa vie en chantant dans les rues. Deux ans plus tard, il s’installe à Montmartre rue Bervic et chante dans les nombreux cabarets du quartier, parmi lesquels Le Cabaret des Assassins (aujourd’hui Lapin Agile) à quelques mètres du cimetière. Repéré par Rodolphe Salis qui l’invite à chanter au Chat Noir, il en devient rapidement l’un des piliers. Lorsque Salis déménage le Chat Noir rue Victor Massé, Legay fonde son propre cabaret La Franche Lippée au 38 rue des Abbesses, qui ne restera ouvert que quelques mois. Il meurt à son domicile de la rue Mansart à l’âge de 64 ans.
Roland Dorgelès (1885-1973)
Au même titre que Maurice Utrillo fut le plus montmartrois des peintres, Roland Dorgelès fut sans doute , avec Marcel Aymé, le plus montmartrois des écrivains. Véritable pilier du Lapin Agile et figure de la Bohème montmartroise du début du siècle, l’auteur a écrit de nombreux livres sur le quartier : Les Veillées du Lapin Agile, Montmartre Mon Pays, Le Château des Brouillards, Bouquet de Bohème ou encore Promenades Montmartroises, entre autres…
Marcel Aymé (1902-1967)
Originaire de Joigny dans l’Yonne, Marcel Aymé s’installe à Montmartre en 1930. L’auteur des Contes du Chat Perché et du Passe-Muraille fut un vrai montmartrois, et l’action de nombre de ses romains se déroule dans le quartier (voir notre article Sur les pas de Marcel Aymé à Montmartre). Il repose à quelques pas de son grand ami Gen Paul.
André (1896-1975) et Suzanne (1932-1992) Gariello.
Chansonnier et acteur de théâtre et de cinéma, sa fille Suzanne fut également chanteuse et la compagne de Jacques Brel, pour qui celui-ci écrivit Ne Me Quitte Pas.
– LES FIGURES DU CINÉMA –
Harry Baur (1880-1943)
Né dans le 11e arrondissement, Harry Baur est considéré comme l’un des plus grands comédiens de la première moitié du XXe siècle, et fut l’une des premières vedettes du cinéma muet.
Marcel Carné (1906-1996)
Né à Paris près des Batignolles, l’illustre réalisateur a vécu durant plus de 20 ans rue Caulaincourt, et plusieurs de ses films ont été tournés dans le quartier, parmi lesquels Juliette ou la Clé des Songes. C’est également dans les Studios Pathé de la rue Francoeur qu’a été réalisé l’un de ses chefs d’œuvre, Les Enfants du Paradis. Particulièrement discret sur sa vie privée tout au long de sa vie, Marcel Carné repose aujourd’hui aux côtés de son compagnon, le comédien Roland Lesaffre.
Claude Pinoteau (1925-2012)
Le réalisateur de La Gifle et de La Boum était un vrai montmartrois puisque son père, Lucien, y vivait depuis 1933. Président de la République de Montmartre de 1943 à 1960 par Poulbot, c’est à lui que Poulbot avait confié « l’œuvre des P’tits Poulbots ». Claude repose aujourd’hui aux côtés de son père.
– LES INCONNUS CÉLÈBRES –
Sédir (1871-1926)
Ce mystérieux personnage mystique, qui fréquentait régulièrement les librairies ésotériques du quartier, écrivit de nombreux ouvrages sur le sujet. A la fin de sa vie, il change radicalement de point de vue et se fait baptiser par le prêtre de la paroisse St-Pierre. Dans les années 70, de nombreux « disciples » venaient toucher la médaille ornant sa tombe sur laquelle figure le visage du Christ, lui accordant des pouvoirs miraculeux.
Ninette Aubart (1887-1964)
Rien ne prédestinait la jeune Ninette, chanteuse au Lapin Agile, à rentrer dans l’histoire de cette façon. Il s’agit en effet de l’une des rescapées du Titanic, où elle se trouvait le 14 avril 1911 en compagnie de son amant Benjamin Guggenheim. De retour en France après le naufrage, on sait peu de choses sur sa vie, si ce n’est qu’elle est enterrée à quelques mètres du cabaret qui a failli changer son destin.
Paulo (1895-1977)
Fils de Frédé, figure illustre du Lapin Agile, c’est lui qui rachète le cabaret en 1922 à Aristide Bruant.
Igna Gazi dit « le Tatare » (1900 ?-1975)
Arrivé sur la Butte au début des années 30, ce peintre né en Crimée prétendait être un descendant direct de Genghis Khan. Personnage fantasque (il exigeait qu’on l’appelle « son excellence »), il vécut toute sa vie aux crochets de Suzanne Valadon. Il voua une partie de son existence à la restauration du culte de Notre-Dame de Montmartre, patronne des artistes. Inhumé au cimetière de Pantin, sa dépouille fut transférée à Saint-Vincent dans la tombe d’un chanoine montmartrois.
Mais aussi :
Arthur Honegger (1892-1955), compositeur et musicien
Paul Yaki (1883-1964), écrivain et historien de Montmartre, cofondateur du Musée de Montmartre.
Claude Charpentier (1909-1995), architecte, urbaniste et grand défenseur de Montmartre devant l’éternel. On lui doit entre autre la reconstruction du Bateau Lavoir et la restauration de l’hotel particulier du 12 rue Cortot, actuel Musée de Montmartre dont il fut cofondateur et conservateur.
Pierre Bussoz (1872-1958), inventeur français du juke-box.
Papoue (1908-1961) et Nicolas-Constantin (1888-1968) Platon-Argyriadès, couple de céramistes et verriers qui furent les derniers occupants de la Maison de Mimi Pinson. Leur tombe est particulièrement originale puisqu’elle figure une maison d’où l’on voit le couple observer les visiteurs par la fenêtre.
Denise Carlier, la maman de Michou, auprès de laquelle il a déjà choisi de reposer…
René Dumesnil (1879-1967), musicographe et membre de l’Académie des Beaux-Arts, considéré comme le plus grand spécialiste de Flaubert. Sa tombe se distingue parmi toutes les autres puisqu’elle est surmontée d’une statue en bronze signée Emile Bailly, devenue l’emblème du cimetière.
Théo de La Cachette de Paris propose régulièrement des visites du cimetière Saint-Vincent. Vous trouverez également de nombreuses informations sur les personnalités inhumées à Saint-Vincent sur le site www.landrucimetieres.fr/spip/spip.php?article1891