Hormis les musiciens, nombreux sont sûrement celles et ceux qui, en remontant vers le sommet de la Butte, ont déjà remarqué le très bel immeuble Art Déco au numéro 56 de la rue Lepic, sans pour autant savoir ce qu’il abritait. Derrière cette belle façade se situe pourtant le showroom historique de Vandoren, le plus célèbre fabricant d’anches et becs pour clarinette et saxophone au monde. C’est à l’occasion du Festival Adolphe Sax que nous avons poussé la porte du lieu, afin de vous raconter l’histoire de cette belle entreprise familiale créée à Montmartre il y a 118 ans !
Tout commence ainsi en 1905. Eugène Van Doren, clarinettiste à l’Opéra de Paris, fabrique lui-même ses propres anches, petits morceaux de roseau fixés grâce à une ligature sur le bec de l’instrument et indispensables à sa pratique. L’homme est habile, et ses anches « sonnent » si bien que ses collègues apprécient lorsqu’il accepte de leur en céder quelques-unes. Mais le travail est long et fastidieux, et Eugène, aussi doué de ses mains que pour la mécanique, conçoit, dans son appartement de la rue André Del Sarte, une machine actionnée au pied comme une machine à coudre qui lui permet de gagner du temps. Ces anches ont tout de suite beaucoup de succès et, l’année de la naissance de son fils Robert, il fonde, au 17 rue André del Sarte, une fabrique d’anches qui lui prendra désormais plus de temps que la pratique de la clarinette !
En 1923, la maison Vandoren s’installe au 51 rue Lepic. Le fils d’Eugène, Robert, étudie également la clarinette et obtient un Premier Prix au Conservatoire de Paris. En 1928, il part en tournée aux Etats-Unis, où il se fait remarquer pour la qualité de sa sonorité, ce qui lui vaut d’être l’un des premiers clarinettistes français à jouer en soliste à Radio-City, fameuse station de radio new-yorkaise. C’est ainsi que l’Amérique fait connaissance avec les anches Vandoren qui ne cesseront d’affirmer, au cours des années, leur succès auprès des musiciens de ce continent.
Tout comme ce fut le cas pour son père, le développement de la société amène Robert Van Doren à se consacrer plus à la fabrication des anches qu’à sa carrière de musicien. En 1935, il acquiert un terrain vague au 56 rue Lepic et y fait construire un bâtiment, à l’adresse devenue désormais mythique et toujours actuelle de la maison Vandoren. C’est à peu près à la même époque que Robert commercialise le fameux bec pour clarinette auquel il donne ses initiales, « 5RV », qui connaît encore aujourd’hui un formidable succès auprès de nombreux clarinettistes.
La troisième génération arrive dans la maison en 1967, avec Bernard Van Doren, qui a hérité du génie de la mécanique de son grand-père. Sous son impulsion naît une impressionnante génération de becs pour clarinette et saxophone. Il crée notamment le célèbre bec « B45 » pour clarinette, qu’il marque de son empreinte, à l’instar de son père : « B » pour Bernard et « 45 », sa propre année de naissance. Sur le principe de fabrication imaginé par son aïeul, Bernard Van Doren développe des machines ultra-perfectionnées qui font descendre les tolérances de fabrication en-dessous du 1/100e de millimètre et qui permettent de décupler la production.
En 1990, la décision est alors prise de déménager les ateliers à Bormes-les-Mimosas, au plus près des roselières, également propriétés de la famille. Ces ateliers, qui emploient avec les plantations plus de 160 personnes, hébergent encore aujourd’hui une production « Made in France » d’anches, de becs et de ligatures, et sont le point de départ de toutes les expéditions vers plus de 100 pays à travers le monde. Les roselières de Vandoren sont implantées sur un terrain offrant les conditions idéales à la croissance du roseau appelé « canne à musique » : hygrométrie, climat, ensoleillement et vent lui permettent en effet d’acquérir une souplesse et une flexibilité́ qui font la qualité des anches Vandoren. Et il s’écoule pas moins de quatre longues années avant que la canne ne soit transformée en anche et aboutisse dans les mains du musicien.
De nouveaux locaux ont été aménagés au 56 rue Lepic, et le bâtiment abrite désormais le showroom parisien de la maison Vandoren, dans lequel se trouvent un magasin dédié à la vente d’anches, becs et accessoires pour clarinette et saxophone, des studios d’essai, une salle de répétition avec piano, une librairie musicale dédiée aux ouvrages pour ces deux instruments, ainsi que des bureaux. Le showroom est ouvert au public (du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 14h à 16h30 – 16h le vendredi), et de nombreuses activités telles que des rencontres avec des artistes et des auteurs ou des masterclass y sont organisées. Clarinettistes ou saxophonistes, quel que soit leur niveau, y bénéficient de conseils personnalisés sur le choix de leur matériel.
Que vous pratiquiez l’instrument ou non, il est certain que vous ne passerez désormais plus devant le 56 rue Lepic sans y jeter un œil !