Toulouse-Lautrec est sans nul doute l’un des peintres les plus aimés de la fin du 19e siècle, mais surtout l’un des plus montmartrois. Né à Albi en 1864, Henri de Toulouse-Lautrec découvre Montmartre en 1882, année où il rejoint l’atelier de Fernand Cormon, alors situé au 10 rue Constance, pour étudier la peinture. Il s’y fait des amis, parmi lesquels Vincent Van Gogh, et commence à fréquenter les nombreux cabarets de la Butte. « Désormais, Montmartre, ses curieuses apparences et sa gentillesse secrète pénètreront dans l’œuvre du grand artiste qui sut rapidement se découvrir devant les spectacles que la rue lui offrait sans compter.* » Il ne quittera plus jamais le quartier, jusqu’à en devenir l’une des figures indissociables.
Issu d’une vieille famille aristocratique française, Toulouse-Lautrec est un homme libre qui ne juge personne, et Montmartre, à ce titre, lui correspond parfaitement : « Lautrec s’y installa comme au cœur d’un fruit afin de s’en nourrir.* » La Butte est la capitale de l’anti bourgeoisie, où se côtoient toutes les classes sociales, et où vivent beaucoup de femmes issues de l’exode rural. Lautrec s’y sent bien, proche de cette humanité que l’on ressent d’autant plus dans ses tableaux. Ainsi, entre 1892 et 1900, il peindra quasi exclusivement Montmartre, portant un regard finalement très sélectif sur son époque, ne laissant entrer dans son œuvre que son monde à lui : un monde de fête, de débauche pour certains, mais qui dégage une immense mélancolie. « La rue pénétra dans son atelier par le truchement des filles dont il fit le portrait. C’est par des portraits que Lautrec fit connaître la rue.* »
Contrairement aux artistes dits « bohèmes » qui ont cherché à exalter leur identité montmartroise, Toulouse-Lautrec n’a jamais eu ni problèmes d’argent ni la volonté d’appartenir à un groupe d’artistes frondeurs : « Si Lautrec puisa dans Montmartre les éléments nécessaires à son désir de vivre et de s’émerveiller de vivre, il faut avouer qu’il ne sélectionna pas ses amis dans cette bohème montmartroise qui choisissait les cabarets alors célèbres pour s’y rencontrer. Car Lautrec n’était pas un bohème. Ce n’était pas l’homme des bistrots canailles, mais celui des bars.* » Il avait par contre en commun avec eux cet esprit d’indépendance chevillé au corps, qui résume à lui seul « l’âme de Montmartre ».
Lautrec a eu plusieurs adresses dans le quartier, la plus connue restant celle du 7 rue Tourlaque où il loue un atelier dès 1886. « Toulouse-Lautrec habitera la maison qui fait l’angle de la rue Tourlaque et de la rue Caulaincourt. Il est en plein centre de ses affaires spirituelles, et à peu près à égale distance du Moulin Rouge et du Moulin de la Galette. (…) Derrière les rideaux de la baie vitrée de l’atelier, on pouvait apercevoir l’entrée du commissariat de police et la silhouette des filles qu’on embarquait dans le panier à salade pour les conduire au dépôt. D’une autre fenêtre de son atelier, le peintre aimait contempler le maquis de la rue Caulaincourt…* » Sur le même palier vivent une certaine Marie-Clémentine Valadon, sa mère et son fils Maurice. Celle que Lautrec renommera Suzanne devient rapidement son modèle puis sa maîtresse. « Tous les témoignages rapportés de leur vivant ou les opinions formulées post-mortem par leur biographes ont une grande concordance : la liaison fut passionnée, violente, tumultueuse, jamais apaisée avec des scènes de ménage à répétition, une même fringale amoureuse et artistique.** » Le 7 rue Tourlaque abritera leurs amours tumultueuses jusqu’en 1888, année de leur rupture. Lautrec conservera l’atelier jusqu’en 1899 avant de déménager avenue Frochot.
Parmi les lieux indissociables de Lautrec, il y a bien sûr le Moulin Rouge, pour lequel il réalisa la première affiche publicitaire en 1891. On y reconnaît La Goulue, mais également Valentin Le Désossé. Cette affiche, qui connut un succès phénoménal, scella l’amitié du peintre avec la danseuse, pour qui il peindra plus tard deux panneaux pour sa baraque de foraine. C’est également au Moulin Rouge qu’il rencontrera Jane Avril, pour qui il créera plusieurs affiches. Outre les affiches, on compte parmi les chefs d’œuvre de Lautrec les tableaux « Au Moulin Rouge » et « La danse au Moulin Rouge », entre autres.
Quelques années auparavant, il fréquenta le Moulin de la Galette, qu’il peignit en 1889 (toile qu’il présenta au Salon des Indépendants la même année) puis en 1892. Toujours sur le haut de la Butte, Lautrec vient régulièrement boire un verre Aux Billards En Bois (aujourd’hui La Bonne Franquette) rue Saint-Rustique avec son ami Van Gogh, ou encore A Ma Campagne, futur Lapin Agile, où il consomme probablement absinthe et alcools forts en abondance.
Mais c’est surtout dans le Bas Montmartre que l’on verra le plus souvent Lautrec, celui-ci fréquentant nombre de cabarets à commencer par Le Mirliton, tenu par son ami Aristide Bruant, et situé au 81 bd de Rochechouart, à l’emplacement du premier Chat Noir. Il s’y rend régulièrement à l’invitation du chansonnier, qui en accrochera quelques toiles aux murs de son cabaret. Lautrec réalisera également plusieurs affiches, qui forgeront l’image picturale de Bruant, jusqu’à celle du Concert des Ambassadeurs, dont Bruant exigea que tout Paris en soit recouvert sous peine de ne pas chanter !
Une autre affiche mondialement connue est celle du Divan Japonais situé au 75 rue des Martyrs (aujourd’hui Madame Arthur) et représentant la célèbre Yvette Guilbert, autre muse de Lautrec. Un peu plus loin Place Pigalle, Lautrec était un client régulier du Rat Mort, où il n’hésitait pas à créer ses propres cocktails, mais également du Chat Noir et de La Souris, bar réputé lesbien au 29 rue Henri Monnier (anciennement rue Breda) très fréquenté durant toute cette période de liberté. On peut également citer le Café-Concert des Décadents au 16 bis rue Fontaine, et le Cirque Médrano au 63 boulevard de Rochechouart.
« Lautrec savourait tout et totalement, et jusqu’au fond du verre et pour mieux aimer et mieux comprendre Montmartre, il s’en fourra jusque-là, filles, alcools, et génie compris… » (Louis Thomas, essayiste de la Belle Epoque) Tout le génie de Toulouse-Lautrec, en dehors de sa maîtrise implacable du mouvement et des couleurs, fut sans doute d’avoir réussi à faire le portrait d’un quartier sans jamais le montrer réellement.
L’exposition Toulouse-Lautrec, Résolument moderne présentée jusqu’au 27 janvier au Grand Palais montre également qu’au-delà de Montmartre, c’est toute la réalité de la société moderne et de ses multiples visages qui transparaît dans l’œuvre de Lautrec. En partenariat avec le Musée de Montmartre, vous pouvez jusqu’au 16 janvier bénéficier d’un tarif réduit sur le billet simple à 11€ (au lieu de 15€) avec le code promo 1920TLMON valable uniquement sur la billetterie en ligne du Grand Palais, mais également tenter votre chance pour gagner votre invitation (open coupe-file utilisable à la date de votre choix – coupe-file jusqu’au 17/01/2020, valables jusqu’à la fin de l’exposition) en envoyant le code TLGP20 + nom, prénom et adresse postale à infos@museedemontmartre.fr
Sources :
- Dans les pas de Toulouse-Lautrec – Alain Vircondelet – Editions du Signe
- Henri de Toulouse-Lautrec, la stratégie de l’éphémère – Nicolas-Henry Zmelty – Editions Hachette/Hazan
- *Toulouse-Lautrec, peintre de la lumière froide – Pierre Mac Orlan – Editions Complexe
- **Lautrec / Valadon, Montmartre Belle Epoque – Yonnick Flot – Editions de la Bisquine