Paris pour Picasso, c’est Montmartre, « le quartier auréolé du plus grand des prestiges ». Le peintre espagnol, dont on célèbre en 2023 le cinquantième anniversaire de la disparition, aura vécu près de douze ans sur la Butte. A l’heure où le musée de Montmartre consacre une splendide exposition à sa compagne, Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau-Lavoir, c’est le moment de repartir sur les pas de Picasso à Montmartre.
C’est en 1900, alors que le jeune peintre de 19 ans est à Paris pour participer à l’Exposition Universelle, qu’il découvre le quartier. A l’époque, il côtoie surtout ses compatriotes espagnols, en particulier Casagemas, Pallares et Nonell, chez qui il loge au 49 rue Gabrielle jusqu’à la fin de l’année. La joyeuse bande fréquente les nombreux lieux de plaisir du quartier, et prend du bon temps avec les jeunes femmes qui leur servent de modèle. C’est ainsi que Casagemas tombe éperdument amoureux d’une certaine Laure Germaine Gargallo, pour qui il se suicidera en février 1901 dans un café de la Place de Clichy. La jeune femme épousera plus tard Ramon Pichot, un autre peintre espagnol, avec qui elle rachètera La Maison Rose.
Au printemps 1901, Picasso revient à Montmartre et s’installe au 130 bd de Clichy dans l’appartement de son marchand Pedro Manach. Il y occupe une petite chambre où il vit, peint, mange et dort. En Juin 1901, le peintre expose chez Ambroise Vollard où il retrouve Max Jacob avec qui il noue une solide amitié. Ce dernier reçoit régulièrement dans sa petite chambre de l’Hôtel du Poirier Place Ravignan un groupe d’amis qui fréquente les cabarets de Montmartre, parfois le Moulin Rouge, mais surtout le Lapin Agile. La joyeuse bande se retrouve également souvent au Zut, Place Jean-Baptiste Clément, tenu par Frédé, avant que celui-ci ne reprenne le Lapin.
Après avoir été mis à la porte du bd de Clichy et avoir effectué plusieurs allers-retours en Espagne, Picasso revient définitivement à Paris en 1903 où il loge avec Max Jacob dans le quartier de Saint-Germain des Prés, avant que son ami le sculpteur et céramiste Paco Durrio lui cède son atelier au Bateau-Lavoir au printemps 1904. C’est là qu’il rencontre Fernande Olivier, avec qui il se mettra en ménage en 1905. Meublé très sommairement, l’atelier, sur le seuil duquel est inscrit « Au rendez-vous des poètes », est encombré de chevalets, de toiles, de tubes et de peintures. Le Bateau-Lavoir compte alors une quinzaine d’ateliers très inconfortables, où il fait très chaud l’été et très froid l’hiver ; des conditions de vie rudes qui y font régner une grande solidarité. Ainsi, il n’est pas rare que lorsqu’un artiste vende un tableau, il fasse manger les autres. Sinon, ils se retrouvent pour manger souvent à crédit chez La Mère Adèle rue Norvins, chez Vernin rue Cavalotti, chez Azan rue Ravignan, chez Bouscarat Place du Tertre, et encore plus souvent au Lapin Agile, où l’on peut payer avec un tableau. C’est comme ça que le fameux « Arlequin » y restera accroché durant de nombreuses années.
Pablo Picasso en 1904 rue Ravignan (anonyme) Pablo Picasso et Fernande Olivier avec leurs chiens Féo et Frika devant le Bateau-Lavoir. Paris, v 1904-1906. Musée National Picasso Paris (anonyme) Le Bateau-Lavoir en 1900 / Le Bateau-Lavoir aujourd'hui.
En 1905, Picasso s’initie également à la gravure chez Eugène Delâtre, dont les presses sont installées au 87 rue Lepic. Mais c’est au Bateau-Lavoir que l’artiste peindra ses toiles de ce qu’il est convenu d’appeler « la période rose », et parmi ses œuvres les plus célèbres Les Demoiselles d’Avignon. Picasso loue également un local aujourd’hui démoli au fond d’un jardin de la rue Cortot où il prépare ses toiles. En septembre 1909, fini les années de misère, Picasso et Fernande Olivier quittent le Bateau-Lavoir pour s’installer dans un grand appartement-atelier au 11 bd de Clichy, avec vue sur le Sacré-Cœur. Néanmoins, le peintre conservera quelque temps un atelier Place Ravignan pour y recevoir ses amis. A l’automne 1912, peu de temps après sa rupture avec Fernande et le début de sa liaison avec Eva Gouel, il quitte définitivement Montmartre pour emménager à Montparnasse.
Il faudra attendre 1932 pour que Picasso ne revienne sur la Butte, où il s’initie à de nouvelles techniques de gravure chez Roger Lacourière rue Foyatier, puis 1944 lorsqu’il présentera à compagne Françoise Gillot une vieille dame édentée nommée Laure Pichot, née Gargallo, qui fut jadis son modèle.
Si Picasso a finalement assez peu peint Montmartre, on peut affirmer sans détour que ses années montmartroises auront incontestablement marqué son œuvre. C’est ainsi qu’il confiera à son ami André Salmon en 1955 : « Tu sais bien que nous n’avons été heureux qu’à Montmartre ».
Sources : - Dictionnaire des peintres à Montmartre – André Roussard - Dictionnaire Montmartre - Jean-Marc Tarrit - Montmartre, les lieux de légende - Olivier Renault