Montmartre est un village, et même s’il a bien changé, nombre de nos rues témoignent encore aujourd’hui de ce que fut le quartier autrefois. A ce titre, la rue Saint-Rustique est sans doute la plus remarquable, puisqu’il s’agit de la plus ancienne rue de la Butte, mais également, et on le sait moins, de la première rue piétonne de Paris !
La rue existe depuis le Moyen-âge, bien qu’à l’époque, elle ne fut qu’un simple chemin de terre, marquant la frontière entre les seigneuries de Saint-Denis et de Montmartre. Ce n’est qu’au 16e siècle que les premières maisons sont construites sur son tracé, période durant laquelle elle prend le nom de rue Notre-Dame. On la distingue assez clairement sur le plan de Jouvin de Rochefort datant de 1672.
Classée parmi les rues parisiennes en 1863 suite à l’annexion de l’ancienne commune de Montmartre à Paris, elle prend sa dénomination actuelle par décret du 26 février 1867, en hommage au martyr chrétien compagnon de Saint Denis qui, avec Eleuthère, fut décapité par les romains sur le Mons Martyrum. La statue de Saint-Denis portant sa tête entre ses mains, visible dans le Square Suzanne Buisson, témoigne de la légende selon laquelle celui-ci aurait porté sa tête jusqu’à Saint-Denis, à l’emplacement de l’actuelle basilique.
Mais après avoir officiellement pris le nom de rue Saint-Rustique, celle-ci a pourtant bien failli disparaître ! Un décret du 11 août 1867 prévoyait en effet sa suppression et son remplacement par une autre de 12m de largeur, prolongement de l’avenue Junot. Celle-ci devait en effet aboutir devant l’entrée de l’église Saint-Pierre, entraînant la disparition d’une partie de la rue Norvins, de tout le côté Nord de la Place du Tertre, et de la totalité de la rue St-Rustique ! Fort heureusement, le percement de l’avenue Junot fut stoppé à la hauteur de la rue Girardon grâce à la Société d’Histoire et d’Archéologie Le Vieux Montmartre fondée un an plus tôt.
Parallèle à la rue Norvins, entre la rue du Mont-Cenis et la rue des Saules, c’était la seule rue du village possédant une épicerie, qui servira plus tard de décor au film La Traversée de Paris. Longue de 110 m et large de 2,60 m, elle fait partie des dernières rues parisiennes pavées, sans trottoir et possédant un caniveau central. Mais surtout, elle est la première rue devenue officiellement piétonne en 1973.
Immortalisée par de nombreux artistes, parmi lesquels Maurice Utrillo en 1926, elle reste l’une des plus pittoresques et authentiques du quartier. Si l’on ne connaît pas bien Montmartre, on est loin d’imaginer qu’entre la rue Saint-Rustique et la rue Norvins se cachent de nombreux jardins, parmi lesquels ceux du Vieux Chalet ou de la Mère Catherine. Elle donne également accès à l’arrière-salle du Starbuck Café ou encore du cabaret Chez Ma Cousine. Cependant, aucune boutique ou restaurant n’a officiellement d’adresse dans la rue, hormis la Bonne Franquette au numéro 18. Anciennement Aux Billards en Bois, l’établissement fut le lieu de rendez-vous des impressionnistes, et son jardin a servi de modèle à Van Gogh pour son tableau « La Guinguette » exposé au Musée du Louvre. On raconte même que Charles Aznavour aurait vécu dans l’immeuble juste au-dessus dans un petit appartement juste au dessus.
L’entrée de la Maison du Sacré-Cœur, établissement accueillant une soixantaine de jeunes confiés par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance et par les Juges des Enfants, se situe au numéro 12. Enfin, une petite boutique d’articles pour peintres, fermée il y a quelques années, a fait le bonheur des artistes de la Butte durant près de 27 ans. Son enseigne est toujours visible un peu après La Bonne Franquette.
Depuis la rue des Saules, la rue Saint-Rustique offre une perspective superbe sur le Sacré-Cœur. Elle est surtout empruntée par les montmartrois qui évitent ainsi la foule de la Place du Tertre et qui, durant quelques minutes, se retrouvent plongés dans le Montmartre du siècle dernier…