C’est l’une des rues que l’on connaît tous à Montmartre sans forcément se souvenir de son nom. D’abord parce qu’elle fait partie des plus pentues de Paris (avec 13,6% de dénivelé), ensuite parce que c’est l’une des rares à être à double voie (toutes les rues de la Butte ou presque sont à sens unique), enfin parce qu’elle est traversée par la Place Emile Goudeau où se situait le Bateau Lavoir et qu’elle offre une vue exceptionnelle sur tout Paris. Mais la rue Ravignan regorge également d’histoires et d’anecdotes qu’il est grand temps de découvrir.
Tracée au 14e siècle, la rue Ravignan, qui reliait Paris au village de Montmartre, portait alors le nom de Chemin Sacalie, où se trouvait également une vigne du même nom. Elle prit ensuite le nom de Chemin Vieux puis rue du Vieux Chemin de Paris, avant d’être rebaptisée en 1867 rue Ravignan. Surnommé « l’apôtre de Paris », Gustave de Lacroix de Ravignan fut d’abord substitut au Barreau de Paris avant de rejoindre les Jésuites où il devint prédicateur ; l’histoire ne dit pas pourquoi la rue porte son nom. Ce que l’on sait en revanche, c’est que depuis la rue des Abbesses, elle grimpait tout droit vers la rue Norvins en direction de l’Eglise Saint-Pierre, avant d’être amputée de sa partie haute entre les rues Gabrielle et Norvins. On se souvient également qu’elle fut empruntée en 1809 par Napoléon.
Longue de 140 mètres, la rue grimpe depuis la rue des Abbesses, bien que le N°1 ne se situe qu’après la rue Durantin. Au N°7 vécut entre 1907 et 1911 le poète Max Jacob. C’est là que le 22 septembre 1909, il vit apparaître l’image du Christ sur les murs de sa chambre, qui le fit se convertir au christianisme. Plus d’un siècle plus tôt, le N°8 eut pour locataire le Comte de Guadella, demi-frère de Pascal Paoli, célèbre indépendantiste corse. Au N°12, l’ancien café Chez Azon est devenu Le Relais de la Butte. Chez Azon fut l’un des hauts lieux montmartrois, fréquenté par les artistes qui louaient des ateliers juste en face au Bateau Lavoir. On y croisait régulièrement Picasso, Van Dongen, Vlaminck mais aussi Apollinaire, André Salmon ou Max Jacob venus en voisin. Juste à côté, les cubistes amateurs d’art nègre exposaient leurs œuvres dans la blanchisserie de madame Rouzaire.
L’une des particularités de la rue Ravignan est, comme on l’a dit, d’être traversée par la Place Emile Goudeau, qui ne prit ce nom qu’en 1911. Mais la place fait bien partie de la rue, et c’est donc rue Ravignan qu’était situé Le Poirier Sans Pareil, célèbre guinguette dont le jardin abritait un poirier si grand qu’une table pouvant accueillir une douzaine de personnes avait été installée dans ses branches. C’est donc aussi rue Ravignan que se situait l’ancienne manufacture de pianos transformée en ateliers d’artistes baptisée Le Bateau Lavoir par Max Jacob. En face au N°16, l’Hôtel du Poirier, hommage à l’arbre du même nom, hébergea entre autres Modigliani, Pierre Mac-Orlan, et Albert Camus qui y acheva le premier brouillon de son roman L’Etranger. Un autre hôtel au N°11, le Grand Hôtel Goudeau, servit de point de chute au résistant Roger Vailland durant l’occupation, qui porte aujourd’hui le nom de Tim Hôtel.
Un peu plus haut au N°15 vécurent en 1917 le comédien Pierre Fresnay, puis de 1923 à 1938 le pianiste Arthur Rubinstein. Francis Lopez habita quant à lui au N°18, où il composa parmi ses plus célèbres opérettes. Aujourd’hui, un couple célèbre réside dans le même immeuble, qui offre une vue imprenable sur la capitale. Au N°28, Le Zut, cabaret dont les murs étaient décorés par Picasso et dirigé par Frédé (que l’on retrouvera plus tard au Lapin Agile), fut fermé par la police en 1902 en raison de bagarres trop fréquentes.
On retrouve la rue Ravignan dans de nombreux films, à commencer justement par une scène de bagarre au Zut dans le chef d’œuvre de Marcel Carné, Quai des Brumes. Jean Renoir y tourna La Chienne avec Michel Simon en 1931, Claude Zidi L’Animal en 1977, Christophe Barratier Faubourg 36 en 2008, Laurent Tirard Le Petit Nicolas en 2009, Christian Duguay Une Sac De Billes en 1017, entre autres car la liste est beaucoup plus longue !
La rue Ravignan reste une rue agréable et animée toute la journée, depuis le petit café du matin au Café Tabac, les pauses gourmandes à la Jurasserie Fine, chez Gilles Marchal et même pour nos amis à quatre pattes chez Koira, les déjeuners en terrasse au Relais de la Butte, les craquages shopping chez Armor Lux ou Curiositas, voire les craquages tout court devant les vitrines des agences immobilières, les découvertes littéraires à la librairie Anima, sans oublier les soirées ambiancées Chez Camille ! Bref, une rue qui reflète encore aujourd’hui un véritable esprit montmartrois.
Sources :
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Paris, dictionnaire du nom des rues (Parigramme)
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Le Guide du Promeneur du 18e (Parigramme)
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montmartre-secret.com
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terresdecrivains.com