Parmi les rues les plus photographiées de Montmartre, la rue de l’Abreuvoir arrive sans aucun doute sur le podium, et ce pour de multiples raisons, à commencer par la célèbre Maison Rose située au numéro 2, et par sa perspective sur le Sacré Cœur depuis l’Allée des Brouillards et la Place Dalida.
CitĂ©e Ă partir de 1325 sous le nom de ruelle du Buc, ou « ruelle qui va au but », elle prend pour nom chemin (en 1843) puis rue de l’Abreuvoir en 1863. Elle suit en effet le tracĂ© qui menait Ă la fontaine servant Ă l’approvisionnement en eau de la population et des animaux. Certaines sources indiquent que celle-ci se trouvait au bas de la rue Girardon au niveau de la Place Constantin Pecqueur, mais il semble plus probable que l’abreuvoir fut situĂ© Ă l’angle de la rue Girardon, en face de l’actuelle Place Dalida. On en distingue encore d’ailleurs la cuvette pavĂ©e dont « la margelle (…) Ă©tait faite avec une pierre tumulaire sur laquelle on distinguait l’image d’une abbesse tenant sa crosse en main. » (1) GĂ©rard de Nerval l’évoque ainsi en 1854 : « Ce qui me sĂ©duisait avant tout dans ce petit espace abritĂ© par les grands arbres du Château des Brouillards, c’était (…) le voisinage de l’abreuvoir, qui le soir s’anime du spectacle de chevaux et de chiens que l’on y baigne, et d’une fontaine construite dans le goĂ»t antique, oĂą les laveuses causent et chantent comme dans un des premiers chapitres de Werther. » (2)
On apprend également que la rue a failli disparaître en 1867 suite à un décret prévoyant de l’élargir pour en faire une artère bordée de grands immeubles, et qui aurait dû porter le nom de Chasseloup-Laubat. Fort heureusement, il n’en fut rien, bien que la fontaine et l’abreuvoir n’existent plus aujourd’hui. A la place (ou plutôt juste à côté) s’élève la Villa Radet (ou Villa du Radet), superbe demeure du début du XXe siècle, qui porte le nom du moulin du même nom transporté à l’angle des rues Lepic et Girardon et rebaptisé (à tort) Moulin de la Galette. A noter qu’il s’agit du seul numéro impair (le 15) de la rue, celle-ci étant dominée tout du long par les jardins de la Cité Internationale des Arts et de la Folie Sandrin.
Côté pair subsistent plusieurs maisons typiques de l’ancien village de Montmartre, à commencer par celle du numéro 14. Il s’agissait d’une épicerie-buvette appelée Maison Georges, reprise en 1924 par M. et Mme Baillot qui la transformèrent progressivement en restaurant et le rebaptisèrent l’Abreuvoir. On raconte que durant l’occupation, afin d’empêcher que les allemands ne réquisitionnent le comptoir en zinc, le couple le dissimula derrière une paroi en plâtre, l’empêchant ainsi d’être fondu. Après guerre, c’est à l’Abreuvoir que se réunissaient les participants au « dîner du dernier carré de Montmartre », avant que le restaurant ne ferme définitivement en 1957 et ne soit transformé en habitation par le fils Baillot. Celui-ci offrit d’ailleurs le fameux comptoir au Musée de Montmartre, où l’on peut encore le voir aujourd’hui.
Le petit immeuble construit en 1883 au numéro 12 fut un temps l’adresse de Camille Pissaro qui y loua un pied-à -terre entre 1888 et 1892. On ne sait pas grand-chose des très jolies demeures jusqu’au numéro 6, l’autre maison rose de la rue, si ce n’est qu’elles ont énormément de charme, et que le peintre Georges Bottini y vécut. Et puis au numéro 4, on découvre la fameuse maison du Commandant Henry Lachouque, historien des campagnes de Napoléon. Le bâtiment est remarquable de par son architecture atypique, en pierres rehaussé de poutres apparentes, mais également grâce à sa décoration. On peut ainsi y voir des aigles en pierre (qui ont donné leur nom à la maison), une statuette de la Vierge Marie au fond d’une niche peinte en bleue figurant un ciel parsemé d’étoiles, mais surtout un cadran solaire sur lequel on peut lire la devise « Quand tu sonneras, je chanteray », à laquelle le Y final donne une allure ancienne alors que le cadran n’a été gravé qu’en 1924, année de construction de la maison. Quant au N à l’envers dans le mot « quand », il s’agit certainement d’un clin d’œil à l’alphabet cyrillique.
Nous voici désormais arrivés au bout, ou plutôt au début de la rue, et donc à la Maison Rose, qui après avoir été immortalisée, entre autre par Maurice Utrillo et Bernard Buffet, reste la maison la plus instagrammée de Montmartre et certainement de Paris, et dont nous avons déjà longuement parlé sur Montmartre Addict.
Quelle que soit l’Ă©poque ou la saison, la rue de l’Abreuvoir possède le charme insolent des plus jolies rues de la capitale, et mĂŞme quand on a la chance d’y passer presque tous les jours, il est impossible de s’en lasser…
Sources : (1) Nouveau dictionnaire historique de Paris – Gustave Pessard – 1904 (2) Promenades et Souvenirs - Gérard de Nerval Le guide du promeneur 18e arrondissement - D. Chadych, D. Leborgne - Ed. Parigramme Curiosités de Paris - D. Lesbros - Ed. Parigramme Dictionnaire des lieux à Montmartre - André Roussard montmartre-secret.com