Coincée entre la rue Ronsard et la rue de Clignancourt, la rue André del Sarte est une rue qui invite au voyage. D’abord parce que son nom, qui est aussi celui d’un peintre de la Renaissance italienne, sent bon le soleil, mais aussi parce que c’est celle qu’ont choisi plusieurs commerçants et artisans des cinq continents pour y poser leurs bagages. C’est en tout cas une rue à l’écart des circuits touristiques qui mérite largement qu’on s’y attarde un peu.
Mais commençons par un peu d’histoire… Il s’agit d’une ancienne voie de la commune de Montmartre d’abord appelée rue Saint-André puis rue Luc-Lambin, du nom d’un philanthrope qui aidait les habitants de la rue à payer leur loyer. Ce n’est qu’en 1880 qu’elle prend son nom actuel sans trop qu’on sache pourquoi. Quant au fameux del Sarte, il s’agit en fait d’un surnom que l’on doit au métier de son père tailleur, sarto en italien ; beaucoup plus simple qu’Andréa d’Agnolo di Francesco di Luca di Paolo del Migliore en effet ! Invité en France par François 1er, il a principalement peint des tableaux religieux et des portraits de femmes qu’on peut encore voir au Louvre pour certains.
La rue n’a en soi rien d’extraordinaire, mais il s’en dégage une atmosphère étonnamment hors du temps. Sans doute est-ce dû en partie à la perspective sur les anciens magasins Dufayel d’un côté, et sur les rochers du Square Louise-Michel de l’autre. Entre les deux se succèdent petits immeubles et boutiques, ainsi que quelques restaurants. Au tout début de la rue côté Charles Nodier, c’est le No Problemo qui ouvre le bal. Repaire des habitués du quartier depuis des années, on y croise souvent les mêmes têtes, on s’y pose pour travailler autour d’un café, pour boire un verre ou pour déjeuner à la bonne franquette. Juste en face, Le Monde en Couleurs, boutique d’artisanat du monde entier, est tenue depuis plus de 25 ans par un ancien expatrié en Amérique du Sud. C’est là qu’on trouve les fameuses poupées mangeuses de chagrins, à glisser sous l’oreiller pour éloigner les mauvais rêves…
Le voyage continue chez Colline d’Asie au numéro 21, où l’on mange certainement parmi les meilleurs bobuns de Paris ! On vous recommande aussi les saucisses aux cinq épices, complètement addictives, ou le tapioca au lait de coco. Au numéro 13, Chez Tam Tam, magasin d’art tribal, a ouvert ses portes récemment à la place de la menuiserie Symphonie. A ne pas confondre avec Tai Tai, son voisin, qui vend lui des objets asiatiques ! Au numéro 3, le restaurant polonais Mazurka est une véritable institution dans le quartier, tout comme son voisin d’en face Le Bois d’Ebène, où l’on mange une authentique cuisine d’Afrique de l’Ouest.
Impossible enfin de parler de la rue André del Sarte sans mentionner la boulangerie Raphaëlle et sa devanture colorée, Le Rideau de Fer, disquaire installé au 12 depuis 1982, ainsi que la jolie boutique-atelier de La Fée Caséine qui depuis deux ans maintenant enchante les montmartrois.
Côté curiosité, il est intéressant de s’attarder au numéro 17 bis. On ne voit pas grand-chose, mais derrière la petite porte cadenassée se cache l’un des derniers puits de Montmartre qui aurait servi aux insurgés pendant la Commune. Sur la façade de l’école maternelle un peu plus loin, on remarque l’étrange présence d’un crocodile et d’un aigle peu rassurants ; il s’agit sans doute d’un hommage à Cuvier, précurseur de la paléontologie, qui élabora l’une de ses théories sur l’évolution grâce aux fossiles retrouvés dans les carrières de gypse au bout de la rue. A noter également que l’école fut fréquentée par Fabrice Luchini, qui raconte qu’à l’époque, « il y avait deux portes, une normale pour les adultes et une toute petite pour les enfants. Nous, nous entrions par ce trou de souris. C’était formidable d’avoir pensé à ça ! ».
Au fil de nos recherches, on a également découvert qu’il y avait eu au fond de la cour du numéro 15 une clinique vétérinaire où il n’était pas rare de croiser un tigre du cirque Bouglione sur le palier, et où dans la salle d’attente, un panneau indiquait que Louis Pasteur y avait expérimenté pour la première fois son vaccin contre la rage en 1885 !
Beaucoup de montmartrois considèrent la rue André del Sarte comme l’une de celles qui reflète le plus l’esprit du quartier. On espère en tout cas avoir donné envie à celles et ceux qui ne la connaissent pas d’aller y faire un tour… du monde !