À l’aube du XXème siècle, il ne faisait pas bon se balader tard dans les rues de Montmartre… Le soir tombé, les nombreux escaliers du quartier se faisaient d’autant plus sombres et chacun se pressait de rentrer chez soi, les passants imprudents risquant de faire une mauvaise rencontre et de tomber sur les Loups de la Butte… Mais qui étaient-ils ?
Paris, 1900. La misère règne dans les quartiers du Nord et de l’Est de la capitale. De nombreux jeunes déscolarisés et sans emploi se retrouvent vite sans ressource et à la rue. Surnommés les Apaches, en référence aux tribus indiennes d’Amérique, des gangs vont ainsi se former dans plusieurs arrondissements de Paris : « les Gars de Charonne » dans le 11ème, « Les Monte-en-l’air des Batignolles » dans le 17ème, « les Marlous de Belleville » dans le 20ème. Durant plus de dix ans, ce sont les fameux « Loups de la Butte » qui vont sévir dans notre quartier.
Âgés pour la plupart entre 15 et 20 ans, tatoués et armés de couteaux et de revolvers, ils sèment la terreur partout où ils passent, depuis la Place du Tertre jusqu’à la rue Marcadet. Leur cible ? Les bourgeois et la police. Leur planque ? Le Maquis, bidonville au milieu d’une véritable friche, situé entre les actuelles rue Caulaincourt et avenue Junot. Les membres sont recrutés sur place, ont souvent fréquenté les mêmes écoles ou travaillé dans les mêmes ateliers. « C’est la force physique qui compte : le plus fort, le plus redouté, celui qui se bat le mieux est le chef, même s’il est le plus jeune. Ce recrutement local explique le patriotisme local. Rien ne vaut le quartier, ses habitudes, son parler, son accent, tel détail de coiffure ou de vêtement, ses plaisirs, ses filles, ses bals, ses chansons, son décor, tout ce que le nom même du quartier résume*. »
À l’image des chiens-loups, le gang de Montmartre patientait jusqu’au coucher du soleil pour sortir à la lumière de la lune. L’obscurité étant leur alliée, les moindres recoins de la Butte n’avaient aucun secret pour ces voyous. Attirés par la fête, les bals, l’alcool et la débauche qui faisaient et défaisaient la réputation de Montmartre, les Loups arpentaient le soir venu les quatre coins de la Butte à la recherche de mauvais coups et de règlements de comptes. Bagarres, vols, agressions et souvent meurtres animaient les longues heures de la nuit, terrorisant les habitants.
Exprimant leur colère et leur envie de liberté, les marques des bandes laissaient des traces quand, au petit matin, des graffitis à message badigeonnaient les murs de la ville. L’un d’entre eux claironnait haut et fort : « Mort aux vaches, à bas les flics, vive l’anarchie ».
Lorsqu’un contrôle de police se faisait entendre, nombreux s’échappaient par des passages dérobés, sautant par-delà les portails et disparaissant dans les renfoncements des porches. Le maquis étant un véritable labyrinthe pour tout étranger, ils prenaient souvent la fuite en sa direction. Les maquisards, ferrailleurs et autres chiffonniers, poussés par la pauvreté et à la recherche d’argent facile, se révélaient souvent de mèche, n’hésitant pas à les cacher dans leurs cabanes en bois.
Le jeu du chat et de la souris était souvent perdu d’avance, d’autant que les Apaches parisiens représentaient alors 30 000 malfrats contre seulement 8 000 sergents de ville. Leurs « exploits », qui faisaient couler beaucoup d’encre, étaient quotidiennement relatés dans les journaux de l’époque, entretenant ainsi leur légende. Ces bandes, parmi lesquelles celle des Loups de la Butte, terroriseront la ville pendant près de 10 ans avant que leurs membres ne soient appelés sur le front lors de la première guerre mondiale, dont la plupart ne reviendront pas vivants.
C’est cette histoire, ainsi que celle de tous ces gangs de jeunes parisiens que vous découvrirez dans le livre passionnant écrit par Jérémy Tessier « Les Apaches de Paris ». L’auteur en connaît un rayon sur le sujet, qu’il étudie depuis presque une dizaine d’années. Sur son site, gangdeparis.com, il poste régulièrement des articles, des vidéos ou des podcasts, et il a même créé une marque de vêtements et d’accessoires grâce auxquels on peut fièrement porter les couleurs de son quartier, ou plutôt de son gang. Dans le livre, Jérémy nous dit tout sur les Apaches, leur origine, leur style de vie, leurs vêtements, leur langage, leurs tatouages et même leurs femmes.
*Montmartre du plaisir et du crime – Louis Chevalier – La Fabrique Editions