La Place de Clichy est l’une des rares à posséder quatre adresses dans quatre arrondissements différents (8e, 9e, 17e et 18e). Ainsi, bien que n’étant techniquement pas totalement montmartroise, elle fait partie des points d’entrée sur la Butte, et son histoire est intimement liée à celle de Paris.
Jusqu’en 1860, la capitale ne comptait que 12 arrondissements, entourés par le Mur des Fermiers Généraux, une enceinte fiscale construite entre 1784 et la Révolution et qui imposait de payer une taxe à l’entrée de la ville. Tout autour de cette enceinte se trouvaient des portes que l’on appelait des barrières d’octroi, bâtiments construits par Claude Nicolas Ledoux et aujourd’hui presque tous disparus*. La Barrière de Clichy (également nommée barrière Fructidor en 1793) se trouvait donc à l’emplacement de l’actuelle Place de Clichy.
Le 30 mars 1814 a lieu la Bataille de Paris, qui marquera la fin du règne de Napoléon 1er. Paris n’est alors défendue que par 40 000 hommes, dont 1000 hommes de la Garde Nationale dirigée par le maréchal Moncey. Les derniers combats ont lieu à la Barrière de Clichy pour s’opposer à l’entrée des Cosaques, et cet événement restera ancré dans la mémoire collective, comme en témoigne le tableau d’Horace Vernet exposé au Louvre ou encore la pièce « La Barrière de Clichy » d’Alexandre Dumas créée en 1851 au théâtre des Batignolles.
En 1864, la Ville de Paris engage un concours pour réaliser un monument en hommage au maréchal Moncey et aux parisiens. Ce sont Amédée Doublemard pour la statue et l’architecte Edmond Guillaume pour le piédestal qui sont retenus. La statue représente le maréchal sabre au clair protégeant de son bras tendu une représentation allégorique de Paris, la couronne symbolisant les fortifications de la ville. A l’arrière, côté rue de Clichy on reconnaît un volontaire de l’Ecole Polytechnique sur les débris d’une barricade. Un des bas-reliefs du piédestal, haut de 8 mètres, est inspiré du tableau d’Horace Vernet. Achevée en 1869, l’inauguration l’année suivante n’a jamais pu avoir lieu en raison de la guerre de 1870. Ce sera néanmoins chose faite le samedi 8 juin 2024 dans le cadre du Festival Mix!Cité en présence des maires des quatre arrondissements.
La place a toujours été très animée, notamment grâce à la présence de nombreux magasins et restaurants. Ainsi, A La Place Clichy ouvre en 1877, réputé pour ses ventes de tapis et de mobilier dans le goût de l’Orient. «Cette mode est telle qu’à l’occasion du Salon des peintres orientalistes de 1902, la locution Place de Clichy qualifie, sous la plume de la critique, l’orientalisme de convention de certaines des toiles exposées.»** Une succursale de La Belle Jardinière jouxtait également A La Place Clichy.
Parmi les nombreux restaurants qui ont fait la réputation de la place, le Wepler est sans aucun doute le plus ancien mais aussi le seul à exister encore. Créé en 1818 par Conrad Wepler, ce « commerce de vin-traiteur » est ensuite devenu à partir de 1892 l’une des brasseries les plus courues de la capitale, fréquentée par de nombreux artistes et écrivains. On peut aussi citer Charlot Roi des Coquillages ouvert en 1937, dont la salle au premier étage offrait une vue imprenable sur la place, et malheureusement aujourd’hui remplacé par un… Franprix !
Car le drame de la Place de Clichy, « un des carrefours de Paris où la vie est la plus bouillonnante, à la limite du monde des petits bourgeois, de celui des ouvriers et des employés, enfin de la bohême et de la noce »*** est d’avoir vu au fil du temps nombre de ses commerces disparaître, comme par exemple Le Havane, qui fut le plus gros bureau de tabac de France. La pharmacie centenaire ouverte 7 jours /7 24 heures /24 a quant à elle heureusement résisté.
Malgré la démolition du Gaumont Palace un peu plus haut, l’ouverture du cinéma Pathé Wepler en 1954 confirme la dimension spectacle de la Place, bien que le Méry à l’angle de la rue Biot, et après avoir connu des fortunes diverses, soit aujourd’hui une salle de sport. Entièrement réaménagée en 2010, et malgré tous ces changements, la Place de Clichy compte encore de nombreux adeptes, souvent nostalgiques mais bien décidés à continuer de faire vivre l’esprit de ce quartier bien particulier.
*La Rotonde de la Villette, les deux pavillons et colonnes de Nation, le double pavillon de Denfert Rochereau et la rotonde de Parc Monceau.
**Cartel de l’exposition « Naissance des grands magasins » au Musée des Arts Décoratifs.
*** Georges Simenon – Le grand Bob – 1954