Peintre et sculpteur allemand d’origine juive, Otto Freundlich est considéré comme l’un des premiers grands créateurs de l’art non-figuratif et pionnier de l’abstraction. Jusqu’au 6 septembre 2020, le Musée de Montmartre lui consacre une exposition monographique, la première à Paris depuis 1969 ; l’occasion de découvrir l’œuvre protéiforme d’un artiste absolu, dans laquelle Montmartre jouera un rôle déterminant.
Né en 1878 à Stolp (territoire prussien situé en Pologne), Otto Freundlich entame des études d’histoire de l’art et de philosophie avant de voyager, d’abord en Italie, où il dessine et s’initie à la sculpture, puis en France. Lorsqu’il arrive à Paris en 1908, il loue un atelier au Bateau-Lavoir où il a pour voisin Picasso, avec qui il se lie très vite d’amitié. Il fréquente alors Max Jacob, Braque, Apollinaire, Derain, Delaunay, André Salmon entre autres, avec qui il échange fréquemment au Lapin Agile. Avec ces artistes, il partage son intérêt pour les notions de composition et de décomposition, ainsi que pour les arts africains. Quelques mois plus tard, il retourne en Allemagne, avant de revenir s’installer dans un atelier du 55 rue des Abbesses en 1911. C’est là qu’il réalise sa première œuvre abstraite, Composition, considérée comme la première œuvre non figurative dans l’histoire de l’art.
L’exposition actuellement présentée au Musée de Montmartre est construite selon un parcours chronologique et narratif en huit sections, réunissant près de 80 œuvres (sculptures, vitraux, mosaïques, œuvres graphiques…), auxquelles s’ajoutent une sélection de documents, écrits et lettres d’artistes amis. On découvre ainsi la vocation humaniste de l’homme à travers son œuvre, qui fut considérée par le régime nazi comme le symbole de « l’art dégénéré » que représentait l’art moderne. Quatorze de ses œuvres, conservées dans différents musées allemands, furent ainsi confisquées et détruites, dont certaines qu’il reproduira plus tard de mémoire, et que l’on peut admirer dans la première section de l’exposition.
On l’a dit, Otto Freundlich fut l’un des précurseurs de l’art abstrait. Touchant à toutes les techniques, il s’est d’abord intéressé à la musique puis à la sculpture. En 1914, il séjourne durant cinq mois à Chartres où il travaille à la restauration des vitraux de la cathédrale et prend conscience de la vocation humaniste et spirituelle de son art. Dans les années 20, le pastel va devenir pour lui un médium de recherche important. Dans son travail à l’huile, il laisse des traces de pinceau pour donner l’intuition de la matière, et la couleur reste pour lui une notion fondamentale. Mais ce qui interpelle dans son œuvre, c’est la circulation des forces et la vision d’un vrai projet plastique qui, quel que soit le support ou la matière, fait que cela fonctionne.
Stigmatisé par le régime nazi dès 1937, il est interné par les autorités françaises dans différents « camps pour ressortissants des nations ennemies » lorsqu’éclate la seconde guerre mondiale en 1939. Libéré en 1940, il se réfugie dans les Pyrenées-Orientales et échoue à émigrer aux Etats-Unis. En 1943, il est dénoncé, arrêté puis déporté vers le camp d’extermination de Sobibor où il meurt assassiné le jour même de son arrivée à l’âge de 65 ans.
Otto Freundlich considérait la société comme une communauté « dans laquelle la nature et les hommes seraient réconciliés comme les hommes entre eux ». Toute son œuvre reflète ainsi cette quête de spiritualité à travers la fusion de la couleur et de la forme en créant à l’aide de lignes, de demi-ogives et de couleurs vives une sorte de cyclone qui donnerait naissance à un monde meilleur ; une œuvre qui trouve toute sa place au Musée de Montmartre en nous amenant sur le chemin de l’art moderne et abstrait.
L’exposition se poursuit dans les Jardins Renoir où l’on peut admirer le bronze Ascension, œuvre monumentale considérée comme le sommet de l’évolution expressionniste non figurative d’Otto Freundlich, puis à la Basilique du Sacré-Cœur où deux vitraux sont présentés dans la chapelle Saint-François d’Assise. Dans le cadre de l’exposition, le Musée de Montmartre s’associe également au Mémorial de la Shoah en proposant deux demi-journées d’études, ainsi qu’avec le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme où les visiteurs de l’exposition Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour École (du 2 avril au 23 août) bénéficieront d’un tarif préférentiel sur le billet plein tarif d’accès à l’exposition du Musée de Montmartre et réciproquement.
Otto Freundlich (1878-1943), la révélation de l’abstraction
du 28 février au 6 septembre 2020