Chaque matin, le jour se lève sur Montmartre et nous vaquons à nos occupations quotidiennes. Un café, une douche, on sort de chez soi et c’est la tête déjà pleine de choses à faire que nous passons le pas de notre porte. Mais voilà que, traversant cette rue voisine, un frisson nous parcourt l’échine. On mettra ça sur le compte des températures qui baissent, l’automne est déjà bien avancé…
Habiter Montmartre signifie fouler des pavés chargés d’histoire, mais aussi d’événements parfois plus sombres. Retour sur les détours tortueux de Montmartre, ses hauts lieux du crime et autres légendes à vous donner la chair de poule !
La malédiction du versant Est
Pendant plus de 50 ans, les quelques rues penchées de ce côté de la Butte furent le théâtre de nombreux crimes et faits divers, à faire froid dans le dos. Des incidents méconnus, ayant eu lieu juste derrière le marché Saint-Pierre, dont nous vous dressons la funeste liste.
Rue Paul Albert : en bravant les escaliers de la rue Paul Albert, juste après la petite place, se situe le 18 de la rue. C’est à cette adresse que, dans les années 1930, eut lieu un terrible drame. En plein milieu de la nuit, deux hommes et une femme semblent se disputer au pied de l’immeuble. Un coup de revolver éclate et une course se fait entendre par le bruit précipité de talons s’enfuyant vers les hauteurs. Un cadavre ensanglanté gît sur le trottoir. Bien difficile pour les habitants de comprendre ce qui s’est passé, ni même d’apercevoir quelque chose dans cette pénombre. Pourtant, quelques jours plus tard, on lira dans le Petit Parisien : « La victime, Jean Alban, trente-trois ans, était connue sous le sobriquet de « Jean le Tatoué » car il avait le corps entièrement recouvert de tatouages. D’après les renseignements recueillis au cours de l’enquête, une femme brune élégamment vêtue, serait venue coucher durant trois jours chez la victime la semaine dernière. Faut-il voir dans cette liaison récente du Tatoué la cause du drame dont il fut victime ? Son meurtrier a-t-il voulu se venger d’un heureux rival ? ».
Rue Feutrier : c’est derrière l’actuel marché aux tissus que de mystérieux et multiples suicides ont été recensés entre 1880 et 1944. Mademoiselle Antoinette Desjardins, commerçante du quartier, demeurant au 4 rue Feutrier, s’est donnée la mort en absorbant un flacon de cyanure de potassium. Un peu plus loin au 15 de la rue, la « Fée verte », l’absinthe de l’époque, faisait des ravages. Monsieur Alexandre Noblemaire ayant abusé de plus d’un litre de boisson, fut victime d’une mort foudroyante.
Rue André del Sarte : dans la rue voisine, à droite de l’actuel atelier Del Sarte Moto, un homme lui aussi victime de la « Fée Verte » se défenestra en septembre 1900. Les années passèrent et bon nombre d’évènements se succédèrent dans le prolongement de la rue. En octobre 1905, une habitante du 13 rue André del Sarte, prise d’une crise de folie, s’élança dans le vide depuis l’un des derniers étages de l’immeuble. Le 15 aura été le témoin de deux pendaisons et d’un suicide au gaz. Au numéro 19, un couple travaillant au marché Saint-Pierre se donna la mort dans la petite chambre qu’il occupait, un riche anglais fut retrouvé par la concierge se balançant au plafond de sa salle à manger et quelques années plus tard un homme assassina sa femme d’un coup de revolver avant de retourner son arme contre lui. Au 21, le cadavre d’un pendu fut découvert derrière la porte de la cave. Et au 25, une jeune femme se jeta par la fenêtre du quatrième étage du logement qu’elle occupait.
Les contes et légendes du quartier
Au IIIème siècle après Jésus-Christ, le premier évêque de France évangélisa avec ferveur le pays. Il se donna tant de mal que, se sentant menacées, les autorités romaines de l’époque le condamnèrent à mort. Incarcéré et torturé, Saint-Denis fut condamné à être décapité par le glaive sur la Butte Montmartre. Les bourreaux renoncèrent à monter jusqu’au sommet et exécutèrent le martyr près de la place des Abbesses, entre l’actuelle rue Yvonne-le-Tac et le Moulin de la Galette, où était érigé le temple de Mercure. On raconte alors que l’évêque se releva, ramassa sa tête tranchée et continua de grimper la Butte, guidé par un ange. On peut lui rendre hommage dans le square Suzanne-Buisson, où une statue a été érigée au-dessus d’une fontaine. Sa source, considérée comme sacrée, aurait pour vertu de guérir la fièvre, mais aussi de prévenir des infidélités…
La discrète artère reliant la rue Lepic et l’avenue Junot abrite une autre mystérieuse fontaine du quartier. Face à un hôtel particulier datant de 1871, un étrange rocher soulève bien des interrogations. Abritant autrefois une source d’eau aujourd’hui tarie, il continue d’étonner les habitants par son imposante dimension. Pas plus que la fameuse bâtisse qui, selon les dires, était occupée quant à elle par… une sorcière. Le passage de la Sorcière est accessible aux plus malins, on vous laisse déjouer l’entrée privée ou vous mettre sur votre 31… pour la soirée qui s’y déroulera demain !
Pour les plus aventureux, une autre rumeur court, cette fois-ci du côté du Moulin Rouge. Attendez patiemment qu’un des habitants de l’avenue Frochot sorte de cette propriété privée, passez le lourd portail et avancez-vous devant le numéro 1. Se dresse face à vous une ancienne demeure de style néo-gothique. Au début du 20ème siècle, elle fut le théâtre d’une sordide histoire : une femme de chambre y est sauvagement assassinée à coups de tisonnier. Le meurtre n’ayant jamais été élucidé, l’âme de la pauvre domestique hanterait les lieux pour toujours. Des voisins racontent entendre encore aujourd’hui des bruits sinistres et même voir la maison bouger ! Depuis, les propriétaires qui se sont succédés sont, pour la plupart, décédés dans d’étranges circonstances.
À deux pas des sépultures du cimetière de Montmartre, se dresse un étrange édifice datant de 1835 aux allures de maison hantée. On y accède par l’impasse Marie Blanche. Anciennement occupée par le comte de l’Escalopier, la vieille demeure de style néo-gothique est ornée de gargouilles effrayantes, de singes en bois et autres ornements à vous faire frissonner. En sortant d’une séance tardive au Studio 28 ou d’un dîner bien arrosé à La Mascotte, laissez-vous tenter par un détour vers cette étrange bâtisse et son atmosphère lugubre.
Les figures qu’on n’aurait pas voulu croiser
Henri-Désiré Landru, « Le nouveau Barbe-Bleue » : arrêté chez sa maîtresse au 76 rue de Rochechouart en 1919, ce célèbre tueur en série avait pour mode opératoire de séduire ses victimes en leur promettant prospérité et mariage, avant de les tuer et de vider leurs comptes bancaires. Il assassinera au total onze femmes, profitant du contexte de la Première Guerre Mondiale pour dissimuler ses meurtres.
André de Lorde, un auteur de pièces terrifiantes : au 12 de la rue Fromentin, habitait un auteur d’étranges et macabres pièces de théâtre. Banal bibliothécaire le jour, il se laissait transporter la nuit à des pensées torturées et écrivit plus de 150 pièces pour le Grand Guignol, ancienne salle de spectacle de la rue Chaptal. Un lieu étrange, spécialisé dans la mise en scène d’œuvres sanguinolentes et autres drames horrifiques.
Thierry Paulin, « le monstre de Montmartre » : durant l’hiver 1984, c’est la psychose de la Butte Montmartre à Barbès, en passant par Pigalle. En seulement six semaines, huit homicides sauvages sont perpétrés dans le quartier. Les vieilles dames se terrent chez elle et plus aucune n’ose sortir faire ses courses dans ces rues devenues un véritable terrain de chasse. C’est seulement en 1987 que l’auteur de ces crimes est interpellé : Thierry Paulin, un adepte des nuits parisiennes. Il écumait chaque soir les boîtes à la mode et profitait des petits matins, alcoolisé et sous l’emprise de la drogue, pour attaquer ses victimes de manière extrêmement violente. Il suivait des femmes d’un certain âge jusque devant leur porte et profitait de leur faiblesse pour les rouer de coups et les étouffer à l’aide d’un sac en plastique.
Guy Georges, « le tueur de l’Est parisien » : la rue André del Sarte, dont nous vous parlions plus haut, fut également empruntée par Guy Georges, le tristement célèbre tueur en série parisien. Le 14 février 1995, en rentrant chez elle, une des locataires de l’époque fut violemment saisie au cou par un homme qui l’avait suivi. Un des voisins, déboulant par hasard dans le hall de l’immeuble, réussit à faire prendre la fuite à son agresseur. Cette Montmartroise aurait malheureusement fait partie d’une macabre liste, Guy Georges ayant violé et tué sept jeunes femmes dans la capitale. Il fut finalement arrêté boulevard de Clichy en avril 1998, devant l’ancienne devanture du « Cabaret L’Enfer », aujourd’hui remplacé par l’enseigne Monoprix. C’est au cours de son interrogatoire à l’intérieur du magasin qu’il avoua qu’il était bel et bien « le tueur de l’Est parisien ».
Les bars dans lesquels il ne faisait pas bon de s’attarder
Au 34 boulevard de Clichy se trouvait le « Cabaret du Néant ». Accueillis chaleureusement par un croque-mort à l’entrée, cet ancien bar à bière comportait plusieurs salles thématiques. Après avoir pénétré dans les lieux, on découvrait la « salle d’intoxication », où chacun était libre de s’enivrer à des tables en forme de cercueils, les boissons étant chaleureusement éclairées un lustre fait d’un crâne orné de tibias. Munis de cierges pour éviter de trébucher, la suite de la sinistre soirée se déroulait dans la « salle de l’incinération » où les propriétaires proposaient à leur clientèle éméchée de se laisser… « mettre en bière ». Et pour les plus grivois, une salle de spectacle surnommée le « Caveau des trépassés » avait pour principale animation l’effeuillage d’une jeune femme choisie au hasard dans la foule. Elle était alors déshabillée à son insu, via un ingénieux système illusionniste de miroirs et de jeux de lumière.
Au 53 boulevard de Clichy, le « Cabaret l’Enfer » engloutissait les âmes damnées au travers de son entrée surmontée d’une gueule béante de Léviathan, tous crocs dehors. On s’entendait alors souffler d’inquiétants avertissements tout droit venus des profondeurs des ténèbres : « Avancez belles impures ; asseyez-vous, charmantes pécheresses, vous serez flambées d’un côté comme de l’autre ». Direction l’obscure grotte du fond, dont la voûte était couverte de corps décharnés et où des musiciens, déguisés en funèbres personnages, jouaient les airs de l’époque.
Dernière étape pour ceux qui de nos jours auraient terminés à L’Embuscade : au 100 boulevard de Clichy se trouvait la « Taverne des Truands », une ultime étape nocturne à la devanture tape à l’oeil. À l’intérieur, un véritable décor théâtral, où des artistes possédés se trémoussaient de manière lancinante le long des murs, les femmes souvent plus dénudées que les hommes. Mélange de faune peu recommandable et à l’humeur changeante, il n’était pas rare que les bourses disparaissent, au grand désespoir des plus alcoolisés.