Le Moulin Rouge, la Maison Rose, Place Blanche, La Goutte d’Or, Le Chat Noir… autant de lieux montmartrois ou voisins qui parlent à tout le monde et qui ont pour point commun d’être associés à une couleur. Peut-être est-ce ce qui a donné l’idée aux organisateurs de la Fête des Vendanges de Montmartre de célébrer cette année les couleurs ? Toujours est-il que c’est pour nous l’occasion rêvée de vous emmener à la découverte de Montmartre en couleurs…
Comment ne pas commencer cette balade par le mythique Moulin Rouge qui, rappelons-le, fête cette année ses 130 ans ? Ouvert le 6 octobre 1889, le Moulin Rouge est sans conteste le plus célèbre cabaret du monde. Mais pourquoi ce moulin est-il rouge ? Deux versions divergent. La légende raconte qu’il s’agirait d’une référence au passé historique de la Butte. Ainsi en 1814, alors que la Bataille de Paris fait rage, les troupes russes tentent d’investir la Butte, point stratégique s’il en est. Ils sont alors repoussés par les frères Debray, une famille de meuniers qui refuse de voir son moulin tomber aux mains de l’ennemi. Trois des quatre frères sont tués, ainsi qu’un commandant russe. Pour venger leur supérieur, les soldats s’attaquent au dernier des frères et découpent son corps en morceaux qu’ils accrochent aux ailes de moulin… Mais la vraie raison serait elle purement marketing ! En effet, Charles Zidler et Joseph Oller, les fondateurs du Moulin Rouge, auraient choisi cette couleur parce qu’elle était repérable de loin ! Et pour le rendre encore plus visible à la nuit tombée, ils installèrent des lumières sur sa façade, ce qui en fit le premier bâtiment électrifié de Paris.
Le Sabot Rouge, restaurant de la Place du Tertre, anciennement La Potinière (ou « Chez Georges » pour les intimes), doit son nom au meurtre d’un paysan commis dans l’ancien village, l’assassin ayant été retrouvé à cause des traces de sang laissées sur ses sabots de bois.
A l’est de la Butte, le quartier de Château Rouge traverse celui de la Goutte d’Or. Il doit son nom à une belle demeure de style Louis XVI édifiée en 1780 le long de la chaussée de Clignancourt, dite le Château Rouge, qui tenait lui même son nom de la couleur des briques de sa façade. En 1847, le château fut transformé en bal qui ferma ses portes en 1882 avant que le bâtiment lui-même ne soit démoli en 1889.
C’est initialement l’auberge La Goutte d’Or, située à l’angle du chemin des Poissonniers et de la voie qui longeait la butte des Cinq Moulins (aujourd’hui rue de la Goutte d’Or ou rue Polonceau) qui donna son nom au quartier. Bien entendu, cette Goutte d’Or faisait référence aux vignes du même nom, de la couleur du vin blanc produit, et dont l’appellation remonte au 15e siècle.
Revenons maintenant Place Blanche, dont le nom est de manière certaine intimement lié à l’histoire de Montmartre. La place doit ainsi sa couleur à celle des poussières blanches de plâtre et de farine qui s’accumulaient sur le chemin au départ de la Barrière-Blanche, bâtiment appartenant à l’enceinte des fermiers généraux ; un chemin qui menait aux carrières de Montmartre, mais également à ses nombreux moulins. Un débit de boissons, A la Croix Blanche, se tenait également à proximité.
Changement radical de couleur avec Le Chat Noir, sans doute le plus montmartrois des cabarets. Fondé en 1881 par Rodolphe Salis au 84 bd Rochechouart, le lieu doit tout simplement son nom à la présence d’un chat noir sur place, que Salis aurait recueilli et qui en devint la mascotte ; un symbole qui fait également référence au conte d’Edgar Allan Poe. En 1885, le Chat Noir déménage au 12 rue de Laval (aujourd’hui rue Victor Massé), puis au 68 boulevard de Clichy en 1896. Le cabaret fermera définitivement ses portes quelques mois plus tard. Un nouveau Chat Noir rouvrira en 1907, sans aucun rapport avec l’ancien, puis disparaît définitivement en 1933. Ne vous fiez pas aux apparences, on ne retrouve aucune trace du cabaret d’origine dans le bar-restaurant qui porte son nom aujourd’hui au 68 boulevard de Clichy, ni dans l’hôtel mitoyen qui lui rend simplement hommage.
Suite à une brouille familiale en 1890, le frère de Rodolphe Salis fonda L’Âne Rouge au 28 avenue Trudaine, cabaret destiné à concurrencer Le Chat Noir. Ce nom faisait référence au surnom donné par Willette à Rodolphe Salis en raison de sa chevelure rousse et de sa réputation de mauvais payeur.
La Boule Noire, salle de spectacle mitoyenne à La Cigale sur le boulevard de Rochechouart fut d’abord une « goguette » fondée en 1822. Lorsqu’elle fut reprise un peu plus tard par un certain Bécuzet, celui-ci fit des embellissements et construisit une salle de danse en prise sur le jardin. De plus, il fit ériger le portique qui servit plus tard d’entrée à La Cigale, surmonté d’une boule de verre éclairée d’un quinquet afin d’attirer le chaland aventuré sur le chemin de ronde alors fort peu éclairé. C’est cette boule à l’origine blanche qui donna son nom à l’établissement une fois que le temps eut noirci complètement le globe de verre.**
Un peu plus loin sur le boulevard de Clichy, le cabaret La Reine Blanche créé en 1850, n’était disait-on qu’une pâle copie de la Boule Noire. La Reine Blanche deviendra en 1889 Le Moulin Rouge.
A noter que juste en face de chez Michou, au 79 rue des Martyrs, à l’emplacement de l’immeuble récemment construit, se tenait à la même époque le Bal du Bœuf Noir. Le Pierrot Noir, certainement un restaurant, était quant à lui situé au 11 rue Germain Pilon.
Le Perroquet Gris était le nom d’oiseau d’un aimable lupanar du 2 rue de Steinkerque, dont l’enseigne montrait deux colombes se bécotant.** Tenu par un certain Bibi Malard surnommé « le père des garces », on raconte que ce petit immeuble d’un étage surmonté d’une terrasse à l’italienne dont les volets étaient toujours fermés communiquait directement avec l’Elysée Montmartre par un souterrain secret.
Remontons sur le haut de la Butte, à l’angle de la rue des Saules et de la rue de l’Abreuvoir : La Maison Rose est sans doute aujourd’hui la plus photographiée du quartier, après avoir été la plus souvent peinte. Et sa couleur n’y est évidemment pas pour rien, puisque la Maison Rose est bel et bien rose, depuis que Laure Gargallo, la première propriétaire du lieu, l’ai fait repeindre après un séjour en Catalogne dans les années 1910. Inutile d’aller chercher plus loin l’origine de son nom !
D’autres maisons montmartroises portent ou ont porté des noms de couleur. Ainsi, à l’angle des rues Ravignan et des Trois Frères trouvait on La Maison Bleue, ex restaurant du Père Azon à quelques mètres du Bateau Lavoir, et qui devint après la Seconde Guerre mondiale Le Relais de la Butte. La Maison Dorée, maison de confection et de nouveautés, se trouvait à l’angle du boulevard Barbès et de la rue Custine, et fut remplacé par un magasin de chaussures André.
Située au pied de la rue Lepic à l’angle de la rue Puget, La Maison Rouge marquait l’entrée sud de la Butte au début du siècle. Ce bar fut longtemps fréquenté par les figures historiques du quartier : Francis Carco, Pierre Mac-Orlan, André Salmon, Léo Daniderff ou encore André Warnod. Ce dernier l’a ainsi décrit : « Cette Maison Rouge était une maison extravagante, une vieille petite bicoque. Des rideaux à carreaux rouges enfermaient dans une barrière opaque ce qui se trouvait à l’intérieur. Le passant n’était pas tenté d’entrer et l’ouvrier en goguette, s’il avait poussé la porte, semblait intimidé devant le bel alignement des bouteilles portant des étiquettes renommées, des mangeailles de choix gardées par un barman en veste blanche, balançant son shaker d’argent. Ce n’était point du tout comme dans les bars populaires ». Gen Paul, un autre habitué des lieux, la prit souvent comme modèle.**
Enfin, il existe au 125 rue Marcadet une Maison Verte, maison de quartier qui abrite la Mission Populaire Evangélique de France, ainsi nommée car l’un de ses premiers lieux d’accueil, alors situé rue de Clignancourt, possédait des murs et des volets de couleur verte.
Et le bleu dans tout ça ? Inauguré fin 1920 et situé près de la Place Blanche, au 42 rue de Douai, Le Moulin Bleu était un théâtre spécialisé dans les spectacles galants, voire franchement coquins.
Voisin du Moulin Rouge au 102 boulevard de Clichy, Le Sanglier Bleu existe toujours ! Créé aux alentours de 1910, le restaurant est devenu une véritable institution dans les années 50, jusqu’à devenir étoilé Michelin dans les années 70. Le nom de l’établissement aurait été choisi en écho à la Place Blanche et au Moulin Rouge voisins, faisant référence au drapeau français. Attenant au Théâtre des Deux Ânes, Le Sanglier Bleu a été repris en 2014 par Jacques Mailhot, puis plus récemment par une jeune équipe qui continue de faire vivre ce bel endroit.
L’Heure Bleue au 54 rue Jean-Baptiste Pigalle fut une boite de nuit ouverte durant l’Occupation. Après la guerre, Pierrot Le Fou et Jo Attia y préparèrent leurs premières attaques à main armée.
Terminons ce feu d’artifice de couleurs avec le restaurant L’Arc En Ciel situé rue de la Fontaine du But en 1830. Dans un cadre encore champêtre, c’était le rendez-vous dominical des familles qui apportaient souvent leur repas et s’installaient dans les salles ou sous les charmilles.**
Une chose est sûre, c’est que Montmartre n’a pas fini de nous en faire voir de toutes les couleurs !
Sources : montmartre-secret.com – neufhistoire.fr
**extrait du Dictionnaire des lieux à Montmartre – André Roussard