Poursuivons notre balade sur les traces des poètes à Montmartre… Après Gérard de Nerval, Jean-baptiste Clément, Paul Verlaine, Jehan Rictus, Paul Fort, Max Jacob, André Salmon et Guillaume Apollinaire, découvrons ceux qui ont fréquenté la Butte après la Première Guerre Mondiale jusqu’à ces dernières années…
Originaire de Narbonne, Pierre Reverdy est accueilli à son arrivée à Paris en 1910 par son ami le peintre Paul Malaterre, qui vit à Montmartre. Il s’installe à l’Hôtel du Poirier, en face du Bateau Lavoir, puis habite avec Max Jacob au 7 rue Ravignan, avant de passer par le Bateau Lavoir puis par le 12 rue Cortot. Considéré comme le précurseur du surréalisme, il est le fondateur de la revue Nord-Sud, du nom de la ligne de métro reliant Montmartre à Montparnasse.
Il neige sur le mont Blanc
Et une grosse cloche sonne dedans
Jusqu’en bas une procession de gens en bas descend.
Les coeurs brûlent à feu couvert
Une ombre immense tourne autour du Sacré-coeur
C’est Montmartre
La lune forme la tête
Ronde comme ta figure
Au temps des flammes plus ardentes
Et de nos jours
Chacun a une petite étoile
Elles rampent
La lune est noire et le ciel clair
(…)
– Paris-Noël – 1916 –
La famille de Paul Eluard s’installe au 3 rue Ordener alors qu’il a 17 ans. En 1917, il épouse Gala Diakonova à la Mairie du 18e, puis à la naissance de leur fille, ils vivent avec Max Ernst dans son atelier des Fusains au 22 rue Tourlaque. Il retournera ensuite rue Ordener, avant de trouver un appartement pour Gala au 7 rue Becquerel. C’est à la même période que celle-ci quittera Eluard pour vivre avec Salvador Dali dans ce même appartement. Paul Eluard quittera définitivement Montmartre et le 18e en 1949, après avoir vécu rue Max Dormoy avec sa seconde femme Nusch.
Ouvrir les portes de la nuit, autant rêver d’ouvrir les portes de la mer. Le flot effacerait l’audacieux.
Mais, du côté de l’homme, les portes s’ouvrent toutes grandes. Son sang coule avec sa peine. Et son courage de vivre, malgré la misère, contre la misère, étincelle sur le pavé boueux, enfantant des prodiges.
Ce n’est pas le rêve que d’habiter entre Barbès et la Villette. Je ne m’en suis jamais plaint. Pour m’ennuyer, j’allais ailleurs, et mon désir d’ailleurs, n’avait alors plus de bornes. Avais-je vraiment besoin de m’ennuyer ? Avais-je vraiment besoin d’aller aux îles avec le secret espoir d’y attendre patiemment la mort ? Je me le suis figuré parce que je fermais les yeux sur moi. Ma jeunesse me faisait un peu peur.
Dans mon beau quartier, entre Barbès et la Villette, vivre est honorable. Et le bonheur pourrait avoir sa place partout. Le seul obstacle c’est le temps, le temps de mourir. Avant la nuit totale, verra-t-on, aura-t-on le temps de voir, de s’éclairer ?
(…)
– Dans mon beau quartier – 1948 –
Arrivé en France en 1919, Tristan Tzara se lie très vite d’amitié avec André Breton et Paul Eluard, entre autres. Il est considéré comme le fondateur du dadaïsme. En 1926, il se fait construire une maison au 15 avenue Junot. Conçue par l’architecte autrichien Adolf Loos, la maison, de style moderne et conforme à l’idéal esthétique de Tzara, a été inscrite au titre des monuments historiques en 1975. C’est dans cette maison que naîtra son fils Christophe en 1927.
En 1953, Boris Vian s’installe dans d’anciennes loges du Moulin Rouge transformées en appartement, au 3e étage du N°6 bis de la Cité Véron, charmante petite impasse bucolique donnant sur le boulevard de Clichy. Il y vit les six dernières années de sa vie avec sa femme Ursula Kubler, danseuse des ballets Roland Petit, qu’il épouse en secondes noces en 1954. Dans cet appartement que l’on peut encore visiter aujourd’hui, le couple organise des fêtes mémorables avec leur voisin de palier, un certain Jacques Prévert… En janvier 1955, Boris Vian effectue l’un de ses derniers tours de chant dans un cabaret voisin et très en vogue : Les Trois Baudets.
En 1954, Jacques Prévert rejoint son ami Boris Vian à Montmartre et emménage au 6bis de la Cité Véron. Les appartements des deux artistes se font face au dernier étage de l’immeuble. Ils partageaient une terrasse donnant sur les toits du Moulin Rouge. Cette terrasse, dite Terrasse des Trois Satrapes était un lieu de rendez-vous incontournable du tout Paris des arts et des lettres dans les années 1950. Raymond Queneau ou encore Miles Davis s’y rendaient alors régulièrement. Depuis le 15 novembre 2013, une plaque est posée au 6 bis Cité Véron pour honorer la mémoire de Jacques Prévert et de Boris Vian.
Bernard Dimey débarque à Montmartre à l’âge de 25 ans et vivra sur la Butte jusqu’à sa disparition en 1981. Il habite successivement rue Ramey, rue Paul Albert, rue Saint-Vincent, rue Cauchois, puis s’installe en 1961 au 13 rue Germain Pilon. C’est ici qu’il trouvera l’inspiration pour écrire ses premiers poèmes et chansons, interprétées par les plus grands noms de la chanson française. Il fréquente assidument les bistrots et autres cabarets du quartier, et devient au fil des années une véritable figure emblématique du quartier, surnommé « l’ogre ». On retrouve quelques une de ses plus beaux poèmes dans le recueil « Soif de Montmartre » illustré en 1993 par Claire Dupoizat.
Les feignants du Lux-Bar, les paumés, les horribles,
Tous ceux qui, rue Lepic, vienn’nt traîner leurs patins,
Les rigolos du coin, les connards, les terribles
Qui sont déjà chargés à dix heur’ du matin…
Les racines au bistrot, ça va pas jusqu’à Blanche,
Et même les Abbesses, ils ont jamais vu ça !
Avec dix coups d’rouquin ils se font leur dimanche
Et je les aime bien, je n’sais pas trop pourquoi.
Y a Jojo qui connaît des chansons par centaines,
Qui gueule comme un âne avec un’ voix d’acier
Et sur un ch’val boiteux va bouffer tout’ sa s’maine,
Qui crèv’rait si demain on supprimait l’tiercé,
Et l’Patron du Lux-Bar, c’est l’Auvergne en personne,
Bien avant d’savoir lire il savait d’jà compter,
Mais tous les habitués viennent pour la patronne
Et lui, le malheureux, s’en est jamais douté !
Et puis y a les souris des rues avoisinantes
Au valseur agressif, au sourire accueillant,
Qui font toujours la gueule et sont toujours contentes,
Qui racontent leur vie en séchant leur coup d’blanc.
Au Lux-Bar on s’retrouve un peu comme en famille ;
L’poissonnier d’à côté, çui qui vend du requin,
Vient y boir’ son whisky parmi les joyeux drilles
Qui ne sont rien du tout, mais qui sont tous quelqu’un.
Les copains du Lux-Bar, les truands, les poètes,
Tous ceux qui dans Paris ont trouvé leur pat’lin
Au bas d’la rue Lepic viennent se fair’ la fête
Pour que les Auvergnats puissent gagner leur pain.
– Au Lux-Bar – Recueil « Le milieu de la nuit » –