En remontant la rue des Martyrs côté 18e, impossible de ne pas remarquer la superbe devanture rouge sur votre gauche. Depuis 1946, Madame Arthur fait partie des hauts lieux des nuits parisiennes. Mais avant d’ouvrir les portes de ce cabaret incontournable à Montmartre, revenons sur son histoire, indissociable de celle du Divan du Monde ; deux lieux mitoyens désormais amenés à n’en faire qu’un.
Au début du 19e siècle, c’est à La Musette de Saint-Flour (ou Bal Brunet) que l’on venait s’encanailler de l’autre côté de la barrière d’octroi, 75 rue des Martyrs. Finalement détruit, le bal est remplacé d’abord par la Brasserie des Martyrs, puis par le Café de la Chanson en 1875.
En 1883, racheté par un certain Théophile Lefort, le lieu devient Le Divan Japonais : serveuses en kimonos, bambou sur les murs et meubles laqués attirent principalement des filles de joie, avant que ne s’y produisent des chanteurs professionnels. En 1888, une figure montmartroise, Jehan Sarrazin, « poète de la folie et marchand de bonnes olives » dans les cafés du quartier, remplace Lefort et aménage une vaste salle au sous-sol baptisée Temple de la Bonne Humeur. Mais c’est Yvette Guilbert, repérée au Moulin Rouge, et Toulouse-Lautrec, auteur de l’affiche du spectacle, qui rendront le Divan Japonais célèbre. La chanteuse s’y produit au printemps 1891, et c’est là qu’elle crée sa fameuse chanson Madame Arthur, écrite par Paul de Kock. Le succès est tel qu’au bout de quelques mois, elle s’envole vers de nouveaux horizons, entrainant derrière elle la fermeture de l’établissement.
De nouveau rasé puis reconstruit, le Divan rouvre en 1894 avec un programme de chansonniers, puis est renommé quelques mois plus tard Concert Lisbonne, du nom du nouveau propriétaire. La comédienne Blanche Cavelli y provoquera un véritable scandale en apparaissant nue sur scène, et sera à son tour à l’origine d’une nouvelle fermeture ! Rouvert peu de temps après sous le nom de Folies Montmartroises, il sera ensuite renommé Théâtre de la Comédie Mondaine en 1901, puis Nouvelle Comédie en 1934, et finira en cinéma érotique, avant d’être transformé en salle de concert pour devenir le Divan du Monde en 1994.
Mitoyen au Divan du Monde, le cabaret Madame Arthur ouvre lui ses portes en 1946. Il s’agit du premier cabaret parisien de travestis, inspiré de la fameuse chanson d’Yvette Guilbert créée quelques années plus tôt de l’autre côté du mur. Après des années de guerres, les Français ont envie de faire la fête, et le succès est quasi immédiat. Aux manettes, le propriétaire, Marcel Wutsman est associé à une certaine Germaine, qui s’occupe de toute la partie artistique, et c’est Gaby, cousin du Wutsman, qui gère le bar. Sur scène, les artistes se produisent accompagnés par un petit orchestre, dont Joseph Ginsburg, remplacé en 1954 par son fils Lucien, plus connu sous le nom de… Serge Gainsbourg !
Les plus célèbres artistes transgenres se sont produits chez Madame Arthur, parmi lesquels la fameuse Coccinelle, première personne transgenre française opérée en 1958 et dont une promenade du boulevard de Clichy porte aujourd’hui le nom, Maslova, ou encore Bambi. Cette dernière raconte ainsi : « Le spectacle (…) est composé de tableaux à thèmes qui durent entre trente et quarante minutes, séparés par des « entractes » pendant lesquels le public danse sur la scène. Deux hommes ne peuvent danser entre eux. Si cela arrive, l’orchestre arrête de jouer, sur ordre du patron. » Quant au public, « sauf au bar où les clients sont souvent « gay » comme on ne disait pas à l’époque, 80% du public est apparemment composé d’hétéros qui viennent en couples, en amis. »
Fermé en 2010, le cabaret aurait pu disparaître à tout jamais. Fort heureusement, le propriétaire du Divan du Monde décide finalement de racheter le lieu, qui sera entièrement rénové pour rouvrir en 2015 dans l’esprit des soirées déjantées d’origine, qui font vivre les nuits les plus sulfureuses du quartier.
À suivre : Madame Arthur – le cabaret club le plus fou de Montmartre