Le saviez-vous ? Il fut un temps où Montmartre avait son hippodrome… Si aujourd’hui le terme est plutôt synonyme de champ de courses, à l’origine, il s’agissait d’un lieu de spectacle où l’on pouvait assister à des numéros équestres ou de dressage, entre autres. Situé à l’angle de la rue Caulaincourt et de la rue Forest, entre la Place de Clichy et le cimetière de Montmartre, il ne subsiste malheureusement plus rien de l’exceptionnel bâtiment inauguré en 1900, à la place duquel on trouve désormais un grand magasin de bricolage et l’Hôtel Mercure Paris Montmartre, un établissement bien implanté dans la vie du quartier mais dont on n’envie définitivement pas l’architecture…
Retour en arrière, dimanche 16 janvier 1898. Plus de mille personnes assistent à la pose de la première pierre du futur Hippodrome, construit sous la direction des architectes Cambon, Galeron et Duray, à qui l’on devait déjà l’hippodrome du Pont de l’Alma et celui du Champ de Mars. Pour l’anecdote, Cambon connaît bien Montmartre, puisqu’il est l’architecte de plusieurs immeubles dans le quartier, et de la Villa des Arts rue Hégésippe Moreau. Après deux ans de travaux, l’Hippodrome ouvre ses portes le 13 mai 1900 à l’occasion de l’Exposition Universelle, et les spectateurs présents ce jour-là assistent à un spectacle « d’une magnificence vraiment incomparable »*, durant lequel se succèdent des numéros de chevaux, d’acrobates, de jongleurs et la pantomime à grand spectacle Vercingétorix.
Le bâtiment est impressionnant : de style « Belle Epoque », il abrite une salle contenant 7000 places, dont 5000 assises réparties sur cinq niveaux, autour d’une piste de 70 mètres de long sur 35 de large ! « Le Grand Restaurant », œuvre d’Edouard Niermans, décorateur du Moulin Rouge voisin, fait également le tour de la piste, pouvant accueillir pas moins de 2000 couverts. Un ascenseur, conçu par Jean Combaluzier, permet d’enlever jusqu’à 300 personnes de la scène.
Durant sept annéees, l’Hippodrome accueille successivement des spectacles de cirque (dont le célèbre Bostock) ou de pantomime, mais également des matchs de football ou encore un spectacle de combat naval, et, en 1905, le célèbre Wild West Show de Buffalo Bill. Mais malgré sa splendeur, l’exploitation de l’hippodrome ne se fait pas sans mal et celui-ci ferme ses portes en 1907.
Le bâtiment sert alors de cinéma, les projections étant organisées en sous-sol, mais également de piste de patins à roulettes, sous la houlette de la « Paris-Hippodrome-Skating-Rink Company ».
En 1911, l’Hippodrome est finalement racheté par Léon Gaumont, et devient alors le Gaumont Palace. La salle, transformée par l’architecte Auguste Barhrmann, possède des dimensions exceptionnelles (40 mètres en largeur sur 70 de profondeur et 24 en hauteur), pouvant accueillir 3400 sièges et 1600 places debout. Proportionnellement, l’écran est assez petit, puisqu’il ne mesure que 8 mètres de base, et le projecteur est installé dans une cabine isolée à l’extérieur du bâtiment.
Le spectacle est grandiose, puisqu’un orchestre de plus de 50 musiciens et choristes accompagne les projections, et comporte également des attractions de music-hall. De nombreux buffets et salles de réception permettent au public de se restaurer durant l’entracte. Plus de 10 000 lampes à incandescence et 50 lampes à arc permettent d’éclairer l’ensemble du bâtiment.
Le Gaumont Palace accueille dès 1912 une séance sonore synchronisée, ainsi qu’une série de films en couleur. Ces projections, réalisées à l’aide d’une caméra composée de trois objectifs et trois films différents regroupés sur la même pellicule, resteront cependant au stade expérimental pour des raisons de coût, mais sont les premières ayant permis aux spectateurs de voir des images animées en couleur… C’est également ici que sont projetées les premières Actualités-Gaumont.
En 1930, l’Hippodrome est finalement détruit, pour faire place un an plus tard à un bâtiment de style Art-Déco conçu par l’architecte Henri Belloc. Le Gaumont Palace devient alors le plus grand cinéma du monde ; équipée de l’air conditionné, la salle peut accueillir 6000 personnes ! Les films sont projetés sur un écran de 12 m par 11,85, et l’orchestre est remplacé par un orgue gigantesque, qui se trouve aujourd’hui au Pavillon Baltard. A noter pour l’anecdote qu’il est déjà à l’époque interdit de fumer dans la salle, contrairement aux autres cinémas.
Plus tard, le Gaumont Palace accueillera également un bar et un dancing. La salle subira plusieurs transformations au fil des années, pour s’adapter aux évolutions techniques des projections et des normes acoustiques. Mais la fréquentation s’essouffle, la mode de la Nouvelle Vague dans les années 60 encourageant les spectateurs à fréquenter des salles plus modestes et intimistes. Et malgré les travaux successifs réalisés durant ces années, avec notamment la transformation du Gaumont-Palace en Cinérama et l’installation d’un écran courbe de 600 m2, la qualité des projections au Gaumont Palace est finalement jugée trop médiocre, entrainant un nouveau projet d’immeuble et de cinéma commandé à l’architecte Georges Peynet en 1970 ; projet qui ne verra finalement jamais le jour. Le 31 mars, le Gaumont-Palace ferme définitivement ses portes dans l’indifférence générale, la société Gaumont étant contrainte de vendre le terrain et l’immeuble aux promoteurs immobiliers.
La salle en 1941
La salle en 1945
La suite est sordide ; en 1973, le bâtiment est entièrement rasé, après avoir été vidé de la totalité de ses équipements et de son mobilier, jetés dans des containers en pleine rue… Heureusement, quelques éléments d’architecture et autres archives ont pu être sauvés, donnant d’ailleurs naissance au Musée Gaumont (malheureusement fermé au public). L’actuel bâtiment ne mérite pas qu’on s’y attarde, et l’on se souviendra seulement qu’à Montmartre, nous avons eu un hippodrome et le plus grand cinéma du monde !
*Le Figaro, 13 mai 1900