Claude Lelouch a toujours filmé les histoires d’amour ; des histoires dont il a fait des succès et qui lui ont valu de multiples récompenses à travers le monde. Pourtant, il en est une dont il parle rarement, sauf quand on le lance sur le sujet. C’est celle qu’il vit avec Montmartre, où il a élu domicile il y a maintenant 40 ans, et où il a tourné de nombreux films. Une belle histoire qu’il nous a racontée avec passion lors d’un entretien exclusif dans ses bureaux parisiens.
Pour Claude Lelouch, vivre à Montmartre, c’était un rêve de gosse. Alors qu’il grandit boulevard de Strasbourg, c’est avec ses parents qu’il découvre la Butte : « Nous y montions de temps en temps pour voir Paris, et je me disais que si un jour la vie était sympathique avec moi, j’aimerais bien venir vivre dans ce quartier. » Il lui faudra néanmoins attendre 1980 pour voir son rêve se réaliser. Il est alors en plein tournage des Uns et les Autres, dont la scène de la libération de Paris se situé sur la Place du Calvaire. Un soir, en récupérant sa voiture garée avenue Junot, il remarque des grues devant le Moulin de la Galette. En bon curieux, il rentre sur le chantier et y croise son ami Henri Morvan, rencontré quelques années plus tôt sur l’un de ses premiers films en tant que stagiaire. L’homme lui confie avoir racheté le lieu pour en faire des appartements, et lui fait visiter : « Il était 20h, à 21h je lui ai dit j’en achète quatre ! J’avais trouvé l’endroit où j’avais envie de mourir. »
Depuis, il n’a jamais déménagé, bien qu’il partage sa vie entre la Butte et la Normandie : « C’est une alternance qui me convient parfaitement, l’un étant le faire-valoir de l’autre. Entre la Normandie et Montmartre, j’ai trouvé le plus beau pays du monde. » Pour lui, Montmartre n’est pas seulement le plus beau quartier de Paris, mais aussi le plus beau village de France. Un village où tout lui plaît, à commencer par les gens : « Ici, tout le monde se prend pour des artistes, même ceux qui ne le sont pas. Par exemple, les voisins sont moins chiants que dans les autres quartiers, beaucoup plus tolérants. »
Ses voisins justement, parlons-en. Un grand nombre de ses amis ont vécu tout près ou y vivent encore : Jean Marais, Gérard Oury, Claude Nougaro, Pierre Richard, Charles Gérard, Dalida, Michèle Morgan, Pierre Barouh, Raphaël, Sandrine Bonnaire, Jean-Paul Rouve, Jean-Pierre Jeunet, Anouk Aimée, autant de personnalités qui font partie de son univers et avec lesquels il se sent bien : « J’aimerais que tous mes amis habitent ici parce que c’est un quartier qui possède toutes les vertus. On y trouve tout ce qu’on veut, on y croise des gens agréables, c’est un endroit formidable pour faire de l’exercice, un endroit où l’on n’a jamais le sentiment de travailler, et surtout un endroit très très créatif, qui me permet de faire des heures sup sans me fatiguer. »
Pour croiser Claude Lelouch, il faut se lever tôt. Entre 6 et 7 heures du matin, il arpente les rues de la Butte magnétophone en main : « Avant, je courais, maintenant je marche, mais j’ai toujours besoin d’être en mouvement pour réfléchir et pour écrire. Le matin, Montmartre vous appartient, il n’y a personne, et comme le quartier est plein de bonnes idées, c’est vers moi qu’elles viennent parce que je suis tout seul ! »
Mais Montmartre est aussi un quartier qu’on a envie de partager : « C’est normal que de nombreux réalisateurs y viennent pour tourner, on est obligé de partager un endroit aussi magnifique. » Déjà dans Un Homme et Une Femme, Anouk Aimée habite rue Lamarck, et Jean-Louis Trintignant l’appelle sur le numéro Montmartre 15 40. En 1976, la traversée de Paris du court-métrage C’était un Rendez-Vous se termine sur le parvis du Sacré-Cœur. Quatre ans plus tard on l’a dit, Claude Lelouch y tourne une scène des Uns et les Autres, puis en 1983, il rachète l’ancien Théâtre du Tertre pour en faire l’un des décors du film Edith et Marcel. En 1988, on se souvient tous du manège du Square Louise Michel dans Itinéraire d’un enfant gâté. En 2019, on retrouve Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant sur le parvis du Sacré-Cœur dans Les plus belles années d’une vie. Enfin, L’amour c’est mieux que la vie, le cinquantième film du réalisateur sorti il y a quelques semaines, se déroule intégralement dans le quartier, et même en partie chez lui. On n’a pas eu le temps de revoir l’intégralité de sa filmographie, mais il y a fort à parier qu’on aurait trouvé d’autres scènes sur la Butte.
Claude Lelouch reconnaît volontiers qu’il s’agit d’un quartier très cohérent par rapport à son cinéma : « Toutes les planètes sont rondes. Tout est cyclique. A Montmartre, ça tourne aussi. Et puis c’est un peu le bordel, et je suis un amoureux du bordel. Tous les jours je découvre des endroits que je ne connaissais pas, des coins, des recoins, des enclaves, des univers incroyables avec des décorations de dingue. Ici, les gens osent tout. Et puis à chaque fois que je me promène, j’ai l’impression de faire le tour du monde grâce aux touristes ! »
Bref, Claude Lelouch est profondément amoureux de Montmartre, et même s’il n’a « pas envie de se transformer en agent immobilier, il faut avouer qu’en plus d’être un terrain de jeu formidable, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, c’est magique. C’est un endroit où il se passe constamment des choses, et pour moi qui ai besoin de vie, c’est l’idéal. » Il est intarissable sur ce qui fait l’âme du quartier, sa vie de bistrots, particulièrement ceux de la rue des Abbesses, le Théâtre Lepic qu’il a confié à sa fille Salomé, le Studio 28 « où l’on passe les plus beaux films du monde », les deux ou trois degrés de différence avec le reste de Paris, le sentiment qu’on est moins pollué, les gens « qui ne vous embêtent jamais, comme si on faisait partie des meubles », et surtout cette incroyable mixité à laquelle il est très attaché.
Car pour lui, Montmartre, ce n’est pas que la Butte, c’est aussi l’avenue de Clichy, Barbès, les Puces de Saint-Ouen, Pigalle, « partout où l’on peut aller à pied. C’est un quartier qui n’a pas de censure, toujours en avance. La vie est un mélange de genres, et Montmartre c’est le mélange de genres idéal parce qu’il y a tout. A Paris, il y a des quartiers riches et des quartiers pauvres. A Montmartre, on change de pays tous les 200 mètres, tout le monde vit ensemble et s’entend très bien. »
On aurait pu continuer à en parler des heures, mais il a bien fallu conclure… Alors à la question de savoir s’il pourrait un jour vivre ailleurs, Claude Lelouch n’a pas hésité : « Si on ne me fout pas à la porte, je reste ! Donc si je peux jouer les prolongations et les tirs au but à Montmartre, je le ferais. Montmartre, c’est l’aristocratie de Paris ! »
Et si, comme nous, vous aimez Claude Lelouch et son cinéma, foncez voir Tourner pour vivre de Philippe Azoulay actuellement en salles. Un film pour lequel le réalisateur a partagé durant 7 ans la vie de Claude Lelouch et sa croyance en « l’incroyable fertilité du chaos » ; un voyage inédit, une aventure artistique, une expérience humaine et spirituelle exceptionnelle qui donne envie de revoir les cinquante films de Claude Lelouch, et encore plus de découvrir les prochains.