Si tout le monde connaît (du moins on l’espère) l’existence du Clos Montmartre, la tradition des vignes sur la Butte ne date pas d’hier, et on buvait déjà le vin de Montmartre au temps de l’Empire Gallo-Romain. On dit même que le vignoble montmartrois fut le premier de notre actuelle Ile-de-France. Cependant, la première trace écrite de l’existence de ces vignes remonte peu avant l’an 1000, lorsqu’un certain Chanoine Frodoard fit état dans ses chroniques d’une tempête qui détruisit en 994 les vignes proches de Paris.
En 1133, on retrouve trace des vignes dans les actes de cession des terrains de Montmartre par Saint Martin des Champs au roi, qui souhaitait installer un monastère en haut de la Butte. La majorité des vignes devient alors la propriété des Dames de Montmartre, dont l’exploitation leur garantit quelques revenus. Dès le 12e siècle, un pressoir est installé à proximité de l’Eglise Saint-Pierre (abbaye du haut), où les habitants sont tenus de venir presser leur raisin moyennant une redevance. De nombreux documents attestent par la suite de l’existence des vignes sur la Butte qu’il serait trop long de citer ici, mais qui prouvent à quel point les terrains étaient convoités, au point qu’elles furent même confisquées par les anglais entre 1423 et 1427.
Au 18e siècle, on recensait une vingtaine de vignobles sur la Butte, parmi lesquels :
- ceux du Haut et du Bas Coteau, au-dessus de l’actuelle Place Saint-Pierre (jardins du Sacré-Cœur) et au niveau de la rue Ronsard
- celui de La Rochefoucauld entre la rue Tardieu et la Place Charles Dullin
- la vigne de Montaigu côté nord de la rue Azaïs (actuel réservoir)
- la vigne de l’église en arrière du chœur (Eglise Saint-Pierre de Montmartre)
- la vigne du Bel Air en haut du chemin Vieux (rue Ravignan)
mais également rue Lepic, de la Mire, près du Château des Brouillards, ou encore à l’angle des rues Lamarck et Becquerel. Sur des plans établis en 1730 et 1775 figure en vigne une étendue assez importante bordant l’actuelle rue Marcadet (Chemin des Bœufs) depuis la rue du Mont-Cenis. Bien entendu, la configuration n’était pas la même, et il faut beaucoup d’imagination pour visualiser ces terrains.
La Révolution de 1789 marque le début du déclin des vignes de Montmartre. Les militaires commencent à s’intéresser au lieu, stratégiquement bien situé, puis l’exploitation des carrières de plâtre, la concurrence des vins de Loire, d’Alsace, de Bourgogne et du Bordelais avec les vins de Paris, et enfin la spéculation immobilière auront progressivement raison de nos vignobles.
Il n’empêche que le vin de Montmartre s’était au fil du temps taillé une petite réputation, bonne ou mauvaise selon les sources, certains parlant d’un véritable nectar (ah la mauvaise foi montmartroise !), d’autres vantant ses vertus diurétiques comme en témoigne ce dicton du 17e siècle : « C’est du vin de Montmartre, qui en boit pinte en pisse quarte ». Le vignoble de la Goutte d’Or, à quelques encablures de là, avait lui les honneurs du roi de France.
On connaît mieux l’histoire de l’actuel Clos Montmartre. Alors qu’en 1921, un projet de construction d’habitations à bon marché est adopté par le Conseil de Paris, une pétition est lancée à l’initiative du Vieux Montmartre qui recueille plus de 2300 signatures, stoppant net le projet. En 1929, le Square de la Liberté est inauguré sur le terrain, qui sera progressivement ravagé par les enfants du quartier. Alors qu’il ne subsiste plus aucune vigne sur la Butte, les membres de la Commune Libre du Vieux Montmartre ont l’idée en 1933 d’en replanter et de créer la première Fête des Vendanges de Montmartre l’année suivante, parrainée par Fernandel et Mistinguett.
Aujourd’hui, la Fête des Vendanges de Montmartre est devenue le troisième événement parisien le plus fréquenté, et on boit toujours le vin de Montmartre ! Le Clos Montmartre compte, répartis sur un terrain de 1600 m2, plus de 1700 pieds de cépages issus des plus grandes régions viticoles, et chaque année, le raisin récolté permet la production, dans un caveau aménagé sous la Mairie, de deux cuvées, rouge et rosé, dont l’intégralité des bénéfices des ventes est reversée aux œuvres sociales du 18e arrondissement.
Par contre, ne comptez pas sur nous pour vous dire si le vin est bon ; nous sommes montmartrois, donc forcément de mauvaise foi ! Le mieux reste donc de vous faire votre propre opinion…
La Cuvée du Clos Montmartre est en vente au Musée de Montmartre (12 rue Cortot), ainsi que sur le site du Comité des Fêtes de Montmartre