Montmartre, décembre 2016. Geneviève nous attend bien au chaud juste en face de chez elle, rue des Abbesses. Elle s’est installée dans cet appartement avec ses parents alors qu’elle était jeune fille, il y a maintenant… 80 ans ! Autant dire que Geneviève connaît par cœur notre quartier, et qu’elle a toujours des tas d’anecdotes à raconter, ce qu’elle fait d’ailleurs régulièrement grâce à Elodie, qui lui fait rencontrer des touristes venus du monde entier curieux de découvrir le Montmartre d’autrefois. A l’aube de ses 99 printemps, Geneviève fait partie de la mémoire vive de Montmartre, et c’est aujourd’hui avec nous qu’elle a rendez-vous.
Son beau-père, André Guérin, était artiste peintre. Après avoir habité un atelier de l’avenue de Saint-Ouen, la famille s’installe rue des Abbesses peu de temps avant la seconde Guerre Mondiale, et c’est durant l’Occupation que Geneviève découvre le véritable esprit montmartrois : « les gens faisaient la queue durant des heures pour acheter à manger, certains possédaient des pliants qu’ils cédaient aux plus faibles, ou qu’ils déplaçaient à leur place pour leur éviter une trop longue attente (…) Je me souviens aussi des allemands qui tombaient régulièrement dans les rues pavées à cause de leurs chaussures à clous ! ».
André Guérin meurt tout de suite après la guerre, et Geneviève reste seule avec sa maman et son frère ; un frère qu’elle adore mais qui lui laisse peu de liberté « j’avais le droit d’aller danser au Moulin de la Galette, à la condition de rentrer avant 22h et de me faire raccompagner. Par contre, j’avais l’interdiction d’aller Place du Tertre ou Chez Patachou, qui était le fief de mon frère… En plus, il fallait passer par « la maison des fous », ancienne Folie Sandrin devenue aujourd’hui une résidence privée. En fait, j’avais l’autorisation de sortir, mais pas à Montmartre ! ».
Ce qui ne l’empêche pas de voir vivre le quartier, ne serait-ce que parce que du haut de son balcon, elle en a vu passer des fêtes et des défilés, « et puis des artistes aussi, il y avait juste à côté de chez nous un hôtel très fréquenté par des gens célèbres… ».
Bien sûr, Geneviève a vu Montmartre changer… Elle se souvient du Cochon Rose, à la place de l’actuel Théâtre des Abbesses sur la place, du marchand de légumes qui criait tellement fort, ou encore de la veuve de guerre qui tenait le café aujourd’hui occupé par La Villa Des Abbesses « elle avait trois chats, et ça puait tellement que personne ne venait ! ». Elle est retournée au Moulin de la Galette à l’époque de Dalida, « et ça n’avait plus rien à voir ! », elle a vu les petits commerçants céder la place à des enseignes moins authentiques, quand ils ne fermaient pas tout simplement, mais il ne lui serait venu à l’idée de quitter Montmartre. Pourquoi ? « mais parce que je l’aime mon quartier ! ». A l’écouter parler, on comprend qu’ici, elle connaît presque tout le monde « en plus je suis très physionomiste ; j’en ai vu grandir et vieillir beaucoup des montmartrois », mais étant de nature discrète, elle ne nous en dira pas plus.
Rue des Abbesses, juin 1951, © B. Chinn
Il se fait tard, et il est temps pour Geneviève de retrouver son appartement. « Au revoir mamie, à bientôt, et faites attention à vous » lui lance la serveuse en partant. Bien emmitouflée dans son manteau, elle traverse « sa » rue des Abbesses, dont elle est certainement aujourd’hui l’une des doyennes… Elle passera Noël avec l’un de ses voisins, parce qu’il n’est pas question qu’elle reste seule ; voilà, c’est encore ça l’esprit montmartrois.