C’est vrai qu’on a déjà le Studio 28. Mais s’il est une institution que le 18e aurait aussi aimé faire sienne, c’est bien le Louxor. Officiellement situé dans le 10e arrondissement, la destinée de ce cinéma aux vies nombreuses et variées s’est jouée au pied de Montmartre. Et parce qu’on adore se replonger dans le passé, on vous propose un retour sur plus de 100 ans d’histoire d’un cinéma qui symbolise aussi le renouveau de tout un quartier.
À l’angle des boulevards Magenta et de la Chapelle, se dresse le Louxor, un édifice dont la devanture au style néo-égyptien a de quoi faire pâlir les façades haussmanniennes environnantes. Sa superbe aujourd’hui retrouvée, ce cinéma mythique a pourtant bien failli disparaitre.
C’est juste après la Première Guerre Mondiale que l’homme d’affaires Henry Sildenberg achète un immeuble à Barbès dans l’idée de construire un cinéma aux inspirations architecturales égyptiennes. À cette époque, le goût pour l’Egypte est très en vogue en France, et pour cause ! L’Exposition Universelle de 1900 a en effet vu la construction d’un Palais de l’Égypte et deux frises égyptiennes exposées au Grand Palais qui ont, cette année-là, marqué les esprits. Ces œuvres lancent alors un mouvement “égyptisant”, qui s’exportera même outre-Atlantique.
Henry Sildenberg s’associe à l’architecte Henri Zipcy et au décorateur Amédé Tibertu, avec qui il inaugure le 6 octobre 1921, après de longs mois de travaux, le tout nouveau Cinéma Louxor. Dans les jours qui suivirent la soirée d’inauguration et la première projection (Le Vaisseau dans le ciel, un film muet et en noir et blanc du réalisateur danois Holger-Madsen), les critiques furent unanimes. La revue Cinéa annonça même dans ses colonnes : « Vu le luxe, le confort, les beaux programmes et la bonne musique, nous ne doutons pas qu’avant peu la salle Louxor ne soit une des salles préférées de tous les amateurs de beaux programmes cinématographiques ». Le ton était donné.
Après quelques années dirigées par la Société des Cinémas Lutétia, le Louxor est repris en 1930 par Pathé qui l’adapte aux films parlants ! C’est une véritable révolution qui fait entrer le Louxor dans sa période la plus faste. Le cinéma est alors le loisir populaire par excellence, les films américains et français désormais diffusés attirent les foules, et les spectateurs se déplacent chaque année par centaines de milliers. Record absolu de fréquentation pour le Louxor : 423 millions d’entrées sont enregistrées en 1947.
Mais si nous retraçons jusqu’ici l’histoire d’un succès fulgurant et absolu, la seconde partie du XXe siècle se révèle être finalement le théâtre d’un déclin. Un déclin annoncé par l’arrivée dans les foyers de la télévision. Pour se divertir, les Français n’ont alors plus besoin de sortir de chez eux. Le cinéma attire moins, le Louxor ne fait plus recette. Nous sommes en 1960.
Les exploitants alors vont redoubler d’efforts pour attirer à nouveau les spectateurs. La programmation évolue, Bollywood, les films de karaté et les comédies musicales égyptiennes s’enchaînent, le prix des places baisse significativement… mais en vain. À la fin des années 70, les salles du quartier ferment les unes après les autres et en 1983, Pathé décide de vendre Le Louxor aux propriétaires du magasin Tati, juste en face. N’ayant pas pu modifier la façade (l’édifice étant inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques depuis 1981) Tati abandonne son projet de nouveau magasin et le bâtiment est cédé à des exploitants de boîtes de nuit. Après avoir accueilli une discothèque antillaise, le Louxor devient le “Megatown”, la plus grande discothèque gay de Paris où l’on se presse pour danser jusqu’au bout de la nuit. Deux autres projets de clubs verront le jour mais finiront eux aussi par fermer définitivement en 1990. Démarre alors une longue traversée du désert ; quinze années durant lesquelles les portes resteront closes de jour comme de nuit !
Le Louxor aurait pu sombrer dans l’oubli, mais c’était sans compter sur les habitants du quartier. Au début des années 2000, ces derniers se donnent ainsi pour mission de sauver le lieu en créant un projet autour d’une volonté populaire. De nombreuses associations voient le jour, dont “Les amis du Louxor” encore active aujourd’hui, ainsi qu’un appel à projets suivi d’une grande manifestation en 2003. Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, s’empare de l’affaire. Dans une logique d’urbanisme d’abord, mais aussi patrimoniale (le quartier en pleine rénovation avait besoin d’un phare) et cinématographique (les salles de cinéma étaient toutes fermées aux alentours), la mairie valide le projet de l’architecte Philippe Pumain. Celui-ci va redonner au Louxor ses couleurs et rénover son style égyptien. Les peintures seront minutieusement grattées et restaurées, les colonnes, les cartouches et hiéroglyphes sont ravivés, le kitch est définitivement assumé. Cerise sur le gâteau, l’enjeu d’intégrer une technique de son et d’image ultra-moderne, dans des salles initialement conçues pour des films muets, est largement relevé. La toile d’origine a d’ailleurs été conservée derrière un écran plus récent. Aujourd’hui, des films muets sont encore projetés sur le premier écran.
La programmation oscille désormais entre films d’art et essai, grands classiques et sorties actuelles incontournables. Les ciné-clubs du dimanche sont très appréciés, et les séances pour les scolaires permettent aux enfants du quartier de découvrir les légendes du cinéma sur grand écran (Chaplin, Keaton, Laurel & Hardy…). Enfin, la terrasse avec vue sur la Butte Montmartre est devenue le spot préféré de tous les épicuriens cinéphiles des alentours. Autant de bonnes raisons de traverser le boulevard et de franchir la frontière du 18e pour vivre l’expérience d’un des cinémas les plus emblématiques de Paris.