Dans la lignée de ses précédents accrochages consacrés au Surréalisme au Féminin ou à Otto Freundlich, le Musée de Montmartre poursuit sa mise en lumière de grands artistes encore relativement méconnus avec cette nouvelle exposition dédiée à Auguste Herbin. L’œuvre du peintre, qui vécut dix-huit ans au Bateau-Lavoir, retrace le parcours d’un homme dans l’histoire de la modernité, et c’est à un véritable cours d’histoire de l’art moderne que nous convie cette exposition.
Il s’agit d’un événement en soi, puisque c’est la première fois qu’un musée parisien consacre une exposition rétrospective à cet artiste. Originaire du Nord de la France, Auguste Herbin se découvre une vocation précoce pour le dessin, et après avoir étudié à l’Ecole des Beaux-Arts de Lille, il monte à Paris en 1901 pour y faire carrière. Très vite, il noue des liens avec de nombreux marchands d’art et autres collectionneurs, avant de reprendre en 1909 l’atelier de Picasso au Bateau-Lavoir, où il restera jusqu’en 1927.
Le parcours de l’exposition, organisé de manière chronologique, retrace l’incroyable diversité de styles et le renouvellement créatif permanent du peintre. Ses premières toiles, dans lesquelles on ressent incontestablement l’influence flamande, s’inscrivent dans le mouvement post-impressionniste. Sous l’influence de Cézanne et de Van Gogh, ses deux maîtres absolus, il devient ensuite l’un des premiers peintres fauves, explorant toutes les palettes de couleurs, avant d’être considéré dès 1908 comme l’un des précurseurs du cubisme. Pourtant, bien que de grandes expositions lui soient consacrées en Allemagne, en Angleterre ou en Suisse, il sera injustement oublié dans le traité « Du Cubisme » écrit en 1912 par Albert Gleizes et Jean Metzinger.
Dès la fin de la guerre, sa période cubiste va évoluer vers l’art abstrait. Souhaitant s’inscrire dans un mouvement pour accompagner le développement de la société moderne, Herbin se lance dans un projet d’œuvres monumentales devant s’intégrer dans l’espace public, dans la lignée du Bauhaus en Allemagne ou du Constructivisme en Russie. L’échec commercial de ce projet sera terrible, et il sera, durant cette période, beaucoup moqué. En 1921, il entre alors dans sa période figurative, durant laquelle il peindra beaucoup de natures mortes, avec des contours nets et peu de volumes.
1925 marquera un nouveau tournant dans la peinture d’Auguste Herbin. Pour répondre à la demande d’un collectionneur suisse qui souhaite lui faire décorer son piano, il s’oriente vers l’art abstrait, qui lui semble d’autant plus propice pour atteindre son but d’éveiller la société à l’art. Peu à peu, la figure et l’objet disparaissent, et le peintre devient le « chantre de l’abstraction circulaire » où courbes et volutes dominent, avant qu’il ne réintroduise progressivement les formes géométriques.
Durant la seconde Guerre Mondiale, Herbin élaborera un alphabet plastique, créant un système de correspondances entre formes géométriques, lettres de l’alphabet, couleurs et notes de musique pour de trouver l’unité parfaite entre la forme et la couleur ; une méthode qui s’avèrera déterminante pour le renouveau de l’art abstrait géométrique.
Bien qu’ayant presque tout inventé en matière d’art moderne, il est, depuis sa mort en 1960, complètement retombé dans l’oubli. Pourtant, il fut deux fois plus côté que Georges Braque, et reconnu bien avant Fernand Léger. Mais Auguste Herbin était tout sauf un peintre mondain, ne fréquentant que de loin « l’intelligentsia » parisienne pour ne s’intéresser qu’à son art. Il mérite néanmoins d’être (re)considéré comme l’un des artistes majeurs du XXe siècle, maître absolu de la couleur il s’est intéressé toute sa vie.
L’exposition qui lui est aujourd’hui consacrée au Musée de Montmartre peut s’avérer déroutante, tant on n’a pas l’impression d’avoir vu les tableaux du même peintre entre la première et la dernière salle. Mais elle n’en est à ce titre que plus passionnante, retraçant grâce aux toiles présentées une petite histoire de l’art moderne en sept chapitres, accessible quel que soit votre âge ou votre intérêt pour la peinture ; parce que c’est tout simplement magnifique !
Auguste Herbin, le maître révélé du 15 mars au 15 septembre au Musée de Montmartre.